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grande nation, c’est parce qu’elle pouvait contenter le désir immense qui sans cesse la sollicitait à faire du bien. Elle eut une magnificence royale, et l’on eût dit qu’elle perdait ce qu’elle ne donnait pas. Ses autres vertus n’ont pas été moins admirables. Fidèle dépositaire des plaintes et des secrets, elle disait que les princes devaient garder le même silence que les confesseurs, et avoir la même discrétion. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n’a douté de sa parole, ni désespéré de sa clémence. Quelle autre a mieux pratiqué cet art obligeant qui fait qu’on se rabaisse sans se dégrader, et qui accorde si heureusement la liberté avec le respect ? Douce, familière, agréable autant que ferme et vigoureuse, elle savait persuader et convaincre aussi bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l’autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitait les affaires ; et une main si habile eût sauvé l’Etat, si l’Etat eût pu être sauvé. On ne peut assez louer la magnanimité de cette princesse. La fortune ne pouvait rien sur elle : ni les maux qu’elle a prévus, ni ceux qui l’ont surprise, n’ont abattu son courage. Que dirai-je de son attachement immuable à la religion de ses ancêtres ? Elle a bien su reconnaître que cet attachement faisait la gloire de sa maison aussi bien que celle de toute la France, seule nation de l’univers qui, depuis douze siècles presque accomplis que ses rois ont embrassé le christianisme, n’a jamais vu sur le trône que des princes enfants de l’Eglise. Aussi a-t-elle toujours déclaré que rien ne serait capable de la détacher de la foi de saint Louis. Le roi son mari lui a donné, jusqu’à la mort, ce bel éloge, qu’il n’y avait que le seul point de la religion où leurs cœurs fussent désunis ; et, confirmant par son témoignage la piété de la reine, ce prince très éclairé a fait connaître en même temps à toute la terre la tendresse, l’amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son épouse incomparable.

Dieu, qui rapporte tous ses conseils à la conservation de sa sainte Eglise, et qui, fécond en moyens, emploie toutes choses à ses fins cachées, s’est servi autrefois des chastes attraits de deux saintes héroïnes pour délivrer ses fidèles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut sauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piège imprévu et inévitable à l’aveugle brutalité d’Holopherne. Les grâces pudiques de la reine Esther eurent un effet aussi salutaire, mais moins violent. Elle gagna le cœur du roi son mari, et fit d’un prince infidèle un illustre protecteur du peuple de Dieu. Par un conseil à peu