Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur son tronc ; il n’en étend pas moins ses vastes rameaux. Chrétien, dont le cœur est endurci, voilà ton image. Bois aride, Dieu n’a pas encore frappé ta racine et ne t’a pas précipité de ton haut pour te jeter dans le feu ; mais il a retiré l’esprit de vie.

Craignez donc, pécheurs endormis, craignez le dernier endurcissement. Éveillons-nous, il est temps. Pourquoi endurcissez-vous vos cœurs comme Pharaon ? Éveillez-vous sans délai, puisque chaque délai aggrave vos peines. Car attendez-vous à vous éveiller que vous soyez retourné parmi vos plaisirs ? Et quand faut-il que le chrétien veille, sinon quand Jésus-Christ parle ? Faites réflexion sur vous-mêmes : pensez-vous être bien loin de cette mortelle léthargie, de cet endurcissement funeste, dont vous êtes menacés si terriblement par tant d’oracles de l’Écriture ? Songez à vos premières chutes : votre cœur vous frappait alors : Percussit [autem] cor David eum. Vos remords étaient plus vifs et vos retours à Dieu plus fréquents. Vous périssiez, mais souvent vous versiez des larmes sur votre perte, et vos tristes funérailles étaient du moins honorées de quelque deuil. Maintenant vous paraissez confirmés dans votre crime : les saints avertissements ne vous touchent plus : les sacrements vous sont inutiles. Craignez enfin, chrétiens, que Dieu ne vous livre au sens réprouvé, et que votre âme ne devienne un vaisseau cassé et rompu qui ne puisse plus contenir la grâce. C’est de quoi sont menacés par le Saint-Esprit ceux qui profanent les sacrements par leurs rechutes, et qui entretiennent leurs mauvais désirs par leur complaisance. « Je les briserai, dit le Seigneur, comme un pot de terre, et les réduirai tellement en poudre qu’il ne restera pas le moindre fragment, sur lequel on puisse porter une étincelle de feu, ou puiser une goutte d’eau. » Étrange état de cette âme cassée et rompue ! Elle s’approche du sacrement de pénitence et de ce fleuve de grâce qui en découle, il ne lui en demeure pas une goutte d’eau. Elle écoute de saints discours qui seraient capables d’embraser les cœurs : elle n’en rapporte pas la moindre étincelle. C’est un vaisseau tout à fait brisé et rompu ; et si elle ne fait un dernier effort pour rappeler l’esprit de la grâce et pour exciter la foi endormie, elle périra sans ressource.

Ah ! mes frères, j’espère de vous de meilleures choses, encore que je parle ainsi. Quoi ! ma parole est-elle inutile ? L’esprit de mon Dieu n’agit-il pas ? ne se remue-t-il pas quelque chose au fond de vos cœurs ? Ah ! s’il est ainsi, vous vivez et votre