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Je sais que vous êtes libre ; mais toutefois, pour vous exciter, il faut quelque raison qui vous persuade : et quelle raison plus pressante aurez-vous alors, que celle que je vous propose ? Y aura-t-il un autre Jésus-Christ, un autre Évangile, un autre paradis, un autre enfer ? Que verrez-vous de nouveau qui soit capable de vous ébranler ? Pourquoi donc résistez-vous maintenant ? Pourquoi donc voulez-vous vous imaginer que vous céderez plus facilement en un autre temps ? D’où viendra cette nouvelle force à la vérité, ou cette nouvelle docilité à votre esprit ? Quand cette passion qui vous domine à présent, quand ce secret tyran de votre cœur aura quitté l’empire qu’il a usurpé, vous n’en serez pour cela ni plus dégagé, ni plus maître de vous-même. Si vous ne veillez sur vos actions, il ne fera que céder la place à un autre vice, au lieu de la remettre au légitime Seigneur, qui est Dieu. Il y laissera, pour ainsi dire, un successeur de sa race, enfant comme lui de la même convoitise ; je veux dire, les péchés se succéderont les uns aux autres, et si vous ne faites quelque grand effort pour interrompre la suite de cette succession malheureuse, qui ne voit que d’erreur en erreur, et de délai en délai, elle vous mènera jusqu’au tombeau ? Connaissez donc que tous ces délais ne sont qu’un amusement manifeste, et qu’il n’y a rien de plus insensé que d’attendre la victoire de nos passions du temps qui les fortifie.

Mais je n’ai pas dit encore ce que les pécheurs endormis ont le plus à craindre. Pour eux ils n’appréhendent que la mort subite ; et comme ils veulent se persuader, malgré l’expérience et tous les exemples, que leur vigueur présente les en garantit, ils découvrent toujours du temps devant eux. Mortels téméraires et peu prévoyants, qui croyons que la justice divine n’a qu’un moyen de nous perdre ! Non, mes frères, ne le croyez pas. Nous sommes souvent condamnés et souvent punis terriblement, avant que la vengeance se déclare, avant même que nous la sentions. On ne dit pas toujours aux criminels la misère de leur triste état ; souvent on les voit pleins de confiance, pendant que leur mort est résolue. Leur sentence n’est pas prononcée mais elle est déjà écrite dans l’esprit des juges. Tel s’est trouvé perdu à la cour et entièrement exclu des grâces, dont le crédit subsistait apparemment. Si la justice des hommes a ses secrets et ses mystères, la justice divine n’aura-t-elle pas aussi les siens ? Oui, sans doute, et bien plus terribles. Mais il faut l’établir par les Écritures. Écoutez donc ce qui est écrit au Deutéronome : « Sachez que le Seigneur votre Dieu punit incontinent