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fonder sa future conversion sur cette attente ? Détrompez-vous, chrétiens, et apprenez à vous mieux connaître. Telle est la nature de votre âme et de votre volonté, qu’elle ne peut, étant née libre, être forcée par ses objets, mais elle s’engage elle-même. Elle se fait comme des liens de fer et une espèce de nécessité par ses actes : c’est ce qui s’appelle l’habitude, dont je ne m’étendrai pas à vous décrire la violence trop connue et trop expérimentée. Je veux donc bien vous confesser qu’il y a une certaine ardeur des passions, et une force trop violente de la nature, que l’âge peut tempérer. Mais cette seconde nature qui se forme par l’habitude, mais cette nouvelle ardeur encore plus tyrannique qui naît de l’accoutumance, le temps ne fait que l’accroître et l’affermir davantage. Quelle folie de laisser fortifier un ennemi qu’on veut vaincre ! Ainsi nous nous trompons déplorablement, lorsque nous attendons du temps le remède à nos passions, que la raison nous présente en vain. Si nous n’acquérons par vertu et par un effort généreux la facilité de les vaincre, c’est une folie manifeste de croire que l’âge nous la donne. Et comme dit sagement l’Ecclésiastique, « la vieillesse ne trouvera pas ce que la jeunesse n’a pas amassé » : Quæ in juventute tua non congregasti, quomodo in senectute tua invenies ? Et il n’est pas nécessaire de rappeler ici de bien loin, ni les deux vieillards de Babylone, impudents calomniateurs de la pudique Susanne, ni la déplorable vieillesse de Salomon, autrefois sage. L’expérience du présent nous sauve le soin de rechercher les exemples des siècles passés. Jetez vous-mêmes les yeux sur vos proches, sur vos amis, sur tous ceux qui vous environnent ; vous ne verrez que trop tous les jours que les vices ne s’affaiblissent pas avec la nature, et que les inclinations ne se changent pas avec la couleur des cheveux. Au contraire, si nous laissons dominer la colère, la vieillesse, bien loin de la modérer, la tournera en aigreur par son chagrin. Et quand on donne tout au plaisir, on ne voit, dit saint Basile, dans l’âge plus avancé, que des idées trop présentes, des désirs trop jeunes et, pour ne rien dire de plus, des regrets qui renouvellent tous les crimes. Par conséquent ne différez pas, et éveillez-vous tout à l’heure : Hora est jam. Car quelle autre heure voulez-vous prendre ? En découvrez-vous quelqu’une qui soit plus commode ou plus favorable ? Vous qui, refusant à présent de vous convertir, dites que vous vous convertirez quelque jour, désabusez-vous : connaissez le secret de votre cœur, et entendez le ressort qui fait mouvoir une machine si délicate.