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ne veillez sans cesse, je vous surprendrai. Et nous osons lui répondre : Non, Seigneur, nous dormirons à notre aise ; cependant nous vous préviendrons de quelques moments, et une prompte confession nous sauvera de votre colère. Quoi ! le Fils de Dieu aura dit que la science des temps est l’un des secrets que son Père a réservés en sa puissance, et nous voudrons percer ce secret impénétrable, et fonder nos espérances sur un mystère si caché, et qui passe de si loin notre connaissance ! Quand Jésus-Christ viendra en sa majesté pour juger le monde, mille événements terribles précéderont, toute la nature se remuera devant sa face, et cependant l’univers, menacé de sa ruine totale par un si grand ébranlement, ne laissera pas d’être surpris. Il est écrit que ce dernier jour viendra comme un voleur ; et qu’il arrivera sur tous les hommes, comme un lacet où ils seront pris inopinément : tant la sagesse de Dieu est profonde à nous cacher ses conseils ! Et nous croirons pouvoir sentir et apercevoir la dissolution de ce corps fragile qui porte sa corruption en son propre sein ! Nous nous trompons, nous nous abusons, nous nous flattons nous-mêmes trop grossièrement. La mort ne viendra pas de loin avec grand bruit pour nous assaillir. Elle s’insinue avec la nourriture que nous prenons, avec l’air que nous respirons, avec les remèdes mêmes par lesquels nous tâchons de nous en défendre. Elle est dans [notre] sang et dans [nos] veines ; c’est là qu’elle a mis ses secrètes et inévitables embûches, dans la source même de la vie. C’est de là qu’elle sortira, tantôt soudaine, tantôt à la suite d’une maladie déclarée ; mais toujours surprenante, et trop peu prévue. L’expérience le fait assez voir ; et Jésus-Christ nous a dit dans son Évangile que Dieu l’a voulu de la sorte. C’est par un dessein prémédité « qu’il nous a caché notre dernier jour ; afin, dit saint Augustin, que nous prenions garde à tous les jours » : Latet ultimus dies, ut observentur omnes dies. Puisqu’il a entrepris de nous surprendre si nous ne veillons, serons-nous plus industrieux à le prévenir, qu’il ne sera prompt à frapper son coup ? Ou croyons-nous avoir contre lui d’autres précautions et d’autres moyens que celui qu’il nous a donné de veiller toujours ? Quelle folie ! quel aveuglement ! quel étourdissement d’esprit ! et quel nom donnerons-nous à une si haute extravagance ? Permettons néanmoins aux hommes, si vous le voulez, de goûter paisiblement le plaisir de vivre ; accordons que la jeunesse puisse se promettre de longs jours, et ne lui envions pas la triste espérance de vieillir. Pensez-vous qu’on doive