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comptent tellement pour rien, qu’ils pensent en effet n’avoir rien à craindre, tant qu’ils n’ont que lui pour témoin. Qui de nous n’est pas de ce nombre ? Qui n’est pas arrêté dans ses entreprises par la rencontre d’un homme qui n’est pas de son secret ni de sa cabale ? et cependant ou nous méprisons, ou nous oublions le regard de Dieu ! N’apportons pas ici l’exemple de ceux qui roulent en leur esprit quelque vol ou quelque meurtre : tout ce qu’ils rencontrent les trouble, et la lumière du jour et leur ombre propre leur fait peur : ils ont peine à porter eux-mêmes l’horreur de leur funeste secret : et ils vivent cependant dans une souveraine tranquillité des regards de Dieu. Laissons ces tragiques attentats ; disons ce qui se voit tous les jours. Quand vous déchirez en secret ceux que vous caressez en public ; quand vous les percez de cent plaies mortelles par les coups incessamment redoublés de votre dangereuse langue ; quand vous mêlez artificieusement le vrai et le faux pour donner de la vraisemblance à vos histoires malicieuses ; quand vous violez le sacré dépôt du secret qu’un ami trop simple a versé tout entier dans votre cœur, et que vous faites servir à vos intérêts sa confiance qui vous obligeait à penser aux siens ; combien de précautions pour ne point paraître, combien regardez-vous à droite et à gauche ! Et si vous ne voyez pas de témoin qui puisse vous reprocher votre lâcheté dans le monde, si vous avez tendu vos pièges si subtilement qu’ils soient imperceptibles aux regards humains, vous dites : Qui nous a vus ? Narraverunt ut absconderent laqueos ; dixerunt : Quis videbit nos ? comme dit le divin psalmiste. Vous ne comptez donc pas parmi les voyants celui qui habite aux cieux ? Et cependant entendez le même psalmiste : « Quoi ! celui qui a formé l’oreille n’écoute-t-il pas, et celui qui a fait les yeux est-il aveugle ? » Qui plantavit aurem non audiet, aut qui finxit oculum non considerat ? Pourquoi ne songez-vous pas qu’il est tout vue, tout ouïe, tout intelligence ; que vos pensées lui parlent, que votre cœur lui découvre tout, que votre propre conscience est sa surveillante et son témoin contre vous-même ? Et cependant sous ces yeux si vifs, sous ces regards si perçants, vous jouissez sans inquiétude du plaisir d’être caché : vous vous abandonnez à la joie et vous vivez en repos parmi vos délices criminelles, sans songer que celui qui vous les défend, et qui vous en a laissé tant d’innocentes, viendra inopinément quelque jour troubler vos plaisirs d’une manière terrible par les rigueurs de son jugement. N’est-ce pas manifestement le compter pour rien, et « dire en son cœur