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Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus, dit le psaume LII : « L’insensé a dit en son cœur : il n’y a point de Dieu. » Les coupables en plusieurs façons de cette erreur insensée. Il y a eu premier lieu les athées et les libertins, qui disent ouvertement que les choses vont au hasard et à l’aventure, sans ordre, sans gouvernement, sans conduite supérieure : insensés, qui dans l’empire de Dieu, parmi ses ouvrages, parmi ses bienfaits, osent dire qu’il n’est pas, et ravir l’être à Celui par lequel subsiste toute la nature ! La terre porte peu de tels monstres ; les idolâtres mêmes et les infidèles les ont en horreur ; et lorsque dans la lumière du christianisme on en découvre quelqu’un, on en doit estimer la rencontre malheureuse et abominable. Mais que l’homme sensuel prenne garde que Dieu ne le livre tellement à la tyrannie des sens, qu’à la fin il vienne à croire que ce qui n’est pas sensible n’est pas réel ; que ce qu’on ne voit ni ne touche pas, n’est qu’une ombre et un fantôme ; que les idées sensibles prenant le dessus, toutes les autres ne paraissent douteuses ou tout à fait vaines. Car c’est là que sont conduits insensiblement ceux qui laissent dominer les sens et ne pensent qu’à les satisfaire.

On en voit d’autres, dit le docte Théodoret, qui ne viennent pas jusqu’à cet excès de nier la Divinité, mais qui, pressés et incommodés dans leurs passions déréglées par ses lois qui les contraignent, par ses menaces qui les étonnent, par la crainte de ses jugements qui les trouble, désireraient que Dieu ne fût pas : bien plus, ils voudraient pouvoir croire que Dieu n’est qu’un nom, ils voudraient pouvoir réduire au néant cette source féconde de l’être, et disent dans leur cœur, non par persuasion, mais par désir : Non est Deus : « Il n’y a point de Dieu. » — « Ingrats et insensés, dit saint Augustin, qui, parce qu’ils sont déréglés, voudraient détruire la règle, et souhaitent qu’il n’y ait ni loi ni justice » : Qui dum nolunt esse justi, nolunt esse veritatem qua damnantur injusti. Je laisse encore ceux-ci, et je veux croire qu’aucuns de mes auditeurs ne sont si dépravés et si corrompus. Je viens à une troisième manière de dire que Dieu n’est pas, de laquelle nous ne pourrons pas nous excuser.

Voici le principe que je pose. Ce à quoi nous ne daignons penser est comme nul à notre égard. Ceux-là donc disent en leur cœur que Dieu n’est pas, qui ne le jugent pas digne qu’on pense à lui sérieusement : à peine sont-ils attentifs à sa vérité, quand on prêche ; à sa majesté, quand on sacrifie ; à sa justice, quand il frappe ; à sa bonté, quand il donne ; enfin, qui le