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Quoi ! tu te laisses aller au murmure, ô vertu contrefaite et déconcertée. Tu ne peux plus te souvenir, piété sans force et sans fondement ! Va, tu n’étais qu’un vain fantôme de la piété chrétienne ; tu n’étais qu’un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans le feu, mais qui s’évanouit dans le creuset. La piété chrétienne n’est pas faite de la sorte : le feu l’épure et raffermit. Ah ! s’il est ainsi, chrétiens, si les souffrances sont nécessaires pour soutenir l’esprit du christianisme, Seigneur, rendez-nous les tyrans ; rendez-nous les Domitians et les Nérons !

Mais modérons notre zèle et ne faisons point des vœux indiscrets : n’envions pas à nos princes le bonheur d’être chrétiens, et ne demandons pas des persécutions que notre lâcheté ne pourrait souffrir. Sans ramener les roues et les chevalets sur lesquels on étendait nos ancêtres, la matière ne manquera pas à la patience. La nature a assez d’infirmités, les affaires assez d’épines, les hommes assez d’injustices, leur jugement assez de bizarreries, leurs humeurs assez d’importunes inégalités, le monde assez d’embarras, ses faveurs assez d’inconstances, ses rebuts assez d’amertumes, ses engagements les plus doux assez de captivités…


XVI

SERMON SUR L’ENDURCISSEMENT[1]


Avent de Saint-Germain, premier dimanche, 1er décembre 1669.


Hora est jam nos de somno surgere.
Il est temps désormais que nous nous réveillons de notre sommeil.
(Rom., XIII, 11.)


Le croira-t-on, si je le dis, que presque toute la nature humaine est endormie, et qu’au milieu [de] cette action si vive et si

  1. Nous avons le manuscrit.