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parce que, comme dit Tertullien, errant de çà et de là, elle s’est trop travaillée dans ses malheureux égarements : Multum enim errando laboraverat.

Voilà, chrétiens, en général, trois funestes dispositions que Jésus-Christ a dessein de vaincre par trois efforts de sa grâce. Mais imitons ce divin Pasteur, cherchons avec lui les âmes perdues ; et ce que nous avons dit en général des égarements du péché et des attraits pressants de la grâce, disons-le tellement que chacun puisse trouver dans sa conscience les vérités que je prêche. Viens donc, âme pécheresse, et que je te fasse voir d’un côté ces éloignements quand on te laisse, ces fuites quand on te poursuit, ces langueurs quand on te ramène ; et de l’autre, ces impatiences d’un Dieu qui te cherche, ces touches pressantes d’un Dieu qui te trouve, ces secours, ces miséricordes, ces soutiens tout-puissants d’un Dieu qui te porte.

Premièrement, chrétiens, je dis que le pécheur s’éloigne de Dieu, et il n’y a page de son Écriture en laquelle il ne lui reproche cet éloignement. Mais, sans le lire dans l’Écriture, nous pouvons le lire dans nos consciences : c’est là que les pécheurs doivent reconnaître les deux funestes démarches par lesquelles ils se sont séparés de Dieu. Ils l’ont éloigné de leurs cœurs, ils l’ont éloigné de leurs pensées. Ils l’ont éloigné du cœur, en retirant de lui leur affection. Veux-tu savoir, chrétien, combien de pas tu as faits pour te séparer de Dieu ? Compte tes mauvais désirs, tes affections dépravées, tes attaches, tes engagements, tes complaisances pour la créature. Oh ! que de pas il a faits, et qu’il s’est avancé malheureusement dans ce funeste voyage, dans cette terre étrangère ! Dieu n’a plus de place en son cœur : et la mémoire, trop fidèle amie et trop complaisante pour ce cœur ingrat, l’a aussi banni de son souvenir : il ne songe ni au mal présent qu’il se fait lui-même par son crime, ni aux terribles approches du jugement qui le menace. Parlez-lui de son péché : — Eh bien, « j’ai péché, dit-il hardiment ; et que m’est-il arrivé de triste ? » ) — Que si vous pensez lui parler du jugement à venir, cette menace est trop éloignée pour presser sa conscience à se rendre : In longum differuntur dies… et in tempora longa iste prophetat. Parce qu’il a oublié Dieu, il croit aussi que Dieu l’oublie et ne songe plus à punir ses crimes : Dixit enim in corde suo : Oblitus est Deus ; de sorte qu’il n’y a plus rien désormais qui rappelle Dieu en sa pensée, parce que le péché, qui est le mal présent, n’est pas sensible, et que le supplice, qui est le mal sensible, n’est pas présent.