Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le péché a mêlé du sien. Ô Dieu ! quel est ce mélange ? J’ai peine à me reconnaître ; je suis prêt [à m’écrier] avec le prophète : Hœccine est urbs perfecti decoris, gaudium universœ terrœ ? Est-ce là cette Jérusalem ? « est-ce là cette ville, est-ce là ce temple, l’honneur, la joie de toute la terre » ? Et moi je dis : Est-ce là cet homme fait à l’image de Dieu, le miracle de sa sagesse et le chef-d’œuvre de ses mains ?

C’est lui-même, n’en doutez pas. D’où vient donc cette discordance ? et pourquoi vois-je ces parties si mal rapportées ? C’est que l’homme a voulu bâtir à sa mode sur l’ouvrage de son Créateur, et il s’est éloigné du plan : ainsi, contre la régularité du premier dessein, l’immortel et le corruptible, le spirituel et le charnel, l’ange et la bête, en un mot, se sont trouvés tout à coup unis. Voilà le mot de l’énigme, voilà le dégagement de tout l’embarras : la foi nous a rendus à nous-mêmes, et nos faiblesses honteuses ne peuvent plus nous cacher notre dignité naturelle.

Mais hélas ! que nous profite cette dignité ? Quoique nos ruines respirent encore quelque air de grandeur, nous n’en sommes pas moins accablés dessous ; notre ancienne immortalité ne sert qu’à nous rendre plus insupportable la tyrannie de la mort ; et quoique nos âmes lui échappent, si cependant le péché les rend misérables, elles n’ont pas de quoi se vanter d’une éternité si onéreuse. Que dirons-nous, chrétiens ? que répondrons-nous à une plainte si pressante ? Jésus-Christ y répondra dans notre évangile. Il vient voir le Lazare décédé, il vient visiter la nature humaine qui gémit sous l’empire de la mort. Ah ! cette visite n’est pas sans cause : c’est l’ouvrier même qui vient en personne pour reconnaître ce qui manque à son édifice ; c’est qu’il a dessein de le reformer suivant son premier modèle : Secundum imaginem ejus qui creavit illum.

Ô âme remplie de crimes, tu crains avec raison l’immortalité qui rendrait ta mort éternelle ! Mais voici en la personne de Jésus-Christ la résurrection et la vie : qui croit en lui, ne meurt pas ; qui croit en lui, est déjà vivant d’une vie spirituelle et intérieure, vivant par la vie de la grâce qui attire après elle la vie de la gloire. — Mais le corps est cependant sujet à la mort. — Ô âme, console-toi : si ce divin architecte, qui a entrepris de te réparer, laisse tomber pièce à pièce ce vieux bâtiment de ton corps, c’est qu’il veut te le rendre en meilleur état, c’est qu’il veut le rebâtir dans un meilleur ordre ; il entrera pour un peu