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avec joie à des fatigues immenses, à des douleurs incroyables et à une mort assurée, pour les amis, pour la patrie, pour le prince, pour les autels ? Et n’est-ce pas une espèce de miracle que ces maximes constantes de courage, de probité, de justice, ne pouvant jamais être abolies, je ne dis pas par le temps, mais par un usage contraire, il y ait, pour le bonheur du genre humain, beaucoup moins de personnes qui les dénient[1] tout à fait, qu’il n’y en a qui les pratiquent parfaitement.

Sans doute il y a au dedans de nous une divine clarté : « Un rayon de votre face, ô Seigneur, s’est imprimé en nos âmes » : Signatum est super nos [lumen vultus tui, Domine]. C’est là que nous découvrons, comme dans un globe de lumière, un agrément immortel dans l’honnêteté et la vertu : c’est la première raison qui se montre à nous par son image ; c’est la vérité elle-même qui nous parle, et qui doit bien nous faire entendre qu’il y a quelque chose en nous qui ne meurt pas, puisque Dieu nous a fait capables de trouver du bonheur, même dans la mort.

Tout cela n’est rien, chrétiens ; et voici le trait le plus admirable de cette divine ressemblance. Dieu se connaît et se contemple ; sa vie, c’est de se connaître : et parce que l’homme est son image, il veut aussi qu’il le connaisse, Être éternel, immense, infini, exempt de toute matière, libre de toutes limites, dégagé de toute imperfection : chrétiens, quel est ce miracle ? Nous qui ne sentons rien que de borné, qui ne voyons rien que de muable, où avons-nous pu comprendre cette éternité ? où avons-nous songé cette infinité ? Ô éternité ! ô infinité ! dit saint Augustin, que nos sens ne soupçonnent pas seulement, par où donc es-tu entrée dans nos âmes ? Mais si nous sommes tout corps et toute matière, comment pouvons-nous concevoir un esprit pur et comment avons-nous pu seulement inventer ce nom ?

Je sais ce que l’on peut dire en ce lieu, et avec raison, que, lorsque nous parlons de ces esprits, nous n’entendons pas trop ce que nous disons. Notre faible imagination, ne pouvant soutenir une idée si pure, lui présente toujours quelque petit corps pour la revêtir. Mais après qu’elle a fait son dernier effort pour les rendre bien subtils et bien déliés, ne sentez-vous pas en même temps qu’il sont du fond de notre âme une lumière céleste

  1. Ici encore, tous les éditeurs avaient lu « décrient ». Outre que le manuscrit porte bien « dénient », je crois que Bossuet n’aurait pas écrit « décrient tout à fait ». Cette restitution, que nul homme de goût ne trouvera indifférente, est encore due à M. Urbain.