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ration plus subtile, ce n’est pas toute l’étendue de notre vie qui nous distingue du néant ; et vous savez, chrétiens, qu’il n’y a jamais qu’un moment qui nous en sépare. Maintenant, nous en tenons un ; maintenant, il périt ; et avec lui, nous périrons tous, si, promptement et sans perdre de temps, nous n’en saisissons un autre semblable ; jusqu’à ce qu’enfin il en viendra un auquel nous ne pourrons arriver, quelque effort que nous fassions pour nous étendre ; et alors nous tomberons tout à coup, manque de soutien. Ô fragile appui de notre être ! ô fondement ruineux de notre substance ! In imagine pertransit homo. Ah ! vraiment l’homme passe de même qu’une ombre, ou de même qu’une image en figure ; et comme lui-même n’est rien de solide, il ne poursuit aussi que des choses vaines, l’image du bien, et non le bien même.

Que la place est petite que nous occupons en ce monde ! si petite certainement et si peu considérable, qu’il me semble que toute ma vie n’est qu’un songe. Je doute quelquefois, avec Arnobe, si je dors ou si je veille : Vigilemus aliquando, an ipsum vigilare, quod dicitur, somni sit perpetui portio. Je ne sais si. ce que j’appelle veiller n’est peut-être pas une partie un peu plus excitée d’un sommeil profond ; et si je vois des choses réelles, ou si je suis seulement troublé par des fantaisies et par de vains simulacres. Prœleni figura hujus mundi : « La figure de ce monde passe, et ma substance n’est rien devant Dieu. »

SECOND POINT[1]

N’en doutons pas, chrétiens : quoique nous soyons relégués dans cette dernière partie de l’univers, qui est le théâtre des changements et l’empire de la mort ; bien plus, quoiqu’elle nous soit inhérente et que nous la portions dans notre sein ;

  1. Le contraste qu’on ne peut manquer de saisir entre ce premier point de ce sermon et le second nous aide peut-être à résoudre le problème qui nous tourmentait si fort tout à l’heure. Comment peut-il se faire que le grand siècle ait préféré qui que ce soit à Bossuet prédicateur ? À la vérité, cet homme-là est trop sublime et pour le grand siècle et pour tous les siècles. Le second point n’est pas moins beau que le premier et, dans son ordre, il l’est peut-être davantage. Mais il appartient à un autre ordre de beauté. Soulevé et bouleversé par le premier point, l’auditoire est à bout d’admiration et l’effort que l’on va lui demander est au-dessus de ses forces.