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que sort une lumière immortelle pour éclairer nos esprits touchant l’état de notre nature. Accourez donc, ô mortels, et voyez dans le tombeau du Lazare ce que c’est que l’humanité : venez voir dans un même objet la fin de vos desseins et le commencement de vos espérances ; venez voir tout ensemble la dissolution et le renouvellement de votre être ; venez voir le triomphe de la vie dans la victoire de la mort : Veni et vide.

Ô mort, nous te rendons grâces des lumières que tu répands sur notre ignorance : toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité : si l’homme s’estime trop, tu sais déprimer son orgueil ; si l’homme se méprise trop, tu sais relever son courage ; et, pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends ces deux vérités qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître : qu’il est méprisable en tant qu’il passe ; et infiniment estimable en tant qu’il aboutit à l’éternité. Et ces deux importantes considérations feront le sujet de ce discours.

PREMIER POINT

C’est une entreprise hardie que d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose. Chacun est jaloux de ce qu’il est, et on aime mieux être aveugle que de connaître son faible ; surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu’on remarque leur défaut : elles veulent que, si on le voit, du moins on le cache. Et toutefois, grâce à la mort, nous en pouvons parler avec liberté. Il n’est rien de si grand dans le monde, qui ne reconnaisse en soi-même beaucoup de bassesse à le considérer par cet endroit-là. [Mais c’est encore trop de vanité de distinguer en nous la partie faible, comme si nous avions quelque chose de considérable[1]]. Vive l’Éternel ! tant que tu viens de Dieu, car en cette sorte je découvre en toi un rayon de la Divinité qui attire justement mes respects ; mais en tant que tu es purement humaine, je le dis encore une fois, de quelque côté que je t’envisage, je ne vois rien en toi

  1. La phrase que je mets entre crochets est accompagnée dans le manuscrit d’un trait marinal. Mais ce signe ne nous permet pas de conclure en toute certitude, comme l’a fait Lebarq, que Bossuet ait voulu supprimer cette phrase, qui semble d’ailleurs nécessaire à la suite des idées.