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négligence de tes héritiers le refuseront peut-être à ta mémoire : tant on pensera peu à toi quelques années après ta mort ! Ce qu’il y a d’assuré, c’est la peine de tes rapines, la vengeance éternelle de tes concussions et de ton ambition infinie. Ô les dignes restes de ta grandeur ! ô les belles suites de ta fortune !

Ô folie ! ô illusion, ô étrange aveuglement des enfants des hommes ! Chrétiens, méditez ces choses ; chrétiens, qui que vous soyez, qui croyez vous affermir sur la terre, servez-vous de cette pensée pour chercher le solide et la consistance. Oui, l’homme doit s’affermir ; il ne doit pas borner ses desseins dans des limites si resserrées que celle de cette vie : qu’il pense hardiment à l’éternité. En effet, il tâche, autant qu’il peut, que le fruit de son travail n’ait point de fin ; il ne peut pas toujours vivre, mais il souhaite que son ouvrage subsiste toujours : son ouvrage, c’est sa fortune, qu’il tâche, autant qu’il lui est possible, de faire voir aux siècles futurs telle qu’il l’a faite. Il y a dans l’esprit de l’homme un désir avide de l’éternité : si on le sait appliquer, c’est notre salut. Mais voici l’erreur : c’est que l’homme l’attache à ce qu’il aime ; s’il aime les biens périssables, il y médite quelque chose d’éternel ; c’est pourquoi il cherche de tous côtés des soutiens à cet édifice caduc, soutiens aussi caducs que l’édifice même qui lui paraît chancelant. Ô homme, désabuse-toi : si tu aimes l’éternité, cherche-la donc en elle-même, et ne crois pas pouvoir appliquer sa consistance inébranlable à cette eau qui passe et à ce sable mouvant. Ô éternité, tu n’es qu’en Dieu ; mais plutôt, ô éternité, tu es Dieu même ! c’est là que je veux chercher mon appui, mon établissement, ma fortune, mon repos assuré, et en cette vie et en l’autre. Amen.


XII

SERMON SUR LA MORT


Carême du Louvre. Mercredi de la quatrième semaine, 22 mars 1662.


« Le sermon sur la mort, dit M. Urbain, est peut-être le plus remarquable de ce carême du Louvre qui est