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parce que [si] la volonté qui n’est pas contente est pauvre, aussi la volonté qui n’est pas réglée est malade ; ce qui exclut nécessairement la félicité, qui n’est pas moins la santé parfaite de la nature que l’affluence universelle du bien. Donc également nécessaire de désirer ce qu’il faut, que de pouvoir exécuter ce qu’on veut.

Ajoutons, si vous le voulez, qu’il est encore sans difficulté plus essentiel. Car l’un nous trouble dans l’exécution, l’autre porte le mal jusques au principe. Lorsque vous ne pouvez pas ce que vous voulez, c’est que vous en avez été empêché par une cause étrangère ; et lorsque vous ne voulez pas ce qu’il faut, le défaut en arrive toujours infailliblement par votre propre dépravation : si bien que le premier n’est tout au plus qu’un pur malheur, et le second toujours une faute ; et en cela même que c’est une faute, qui ne voit, s’il a des yeux, que c’est sans comparaison un plus grand malheur ? Ainsi l’on ne peut nier sans perdre le sens qu’il ne soit bien plus nécessaire à la félicité véritable d’avoir une volonté bien réglée que d’avoir une puissance bien étendue.

Et c’est ici, chrétiens, que je ne puis assez m’étonner du dérèglement de nos affections et de la corruption de nos jugements. Nous laissons la règle, dit saint Augustin, et nous soupirons après la puissance. Aveugles, qu’entreprenons-nous ? La félicité a deux parties, et nous croyons la posséder tout entière pendant que nous faisons une distraction violente de ses deux parties. Encore rejetons-nous la plus nécessaire ; et celle que nous choisissons, étant séparée de sa compagne, bien loin de nous rendre heureux, ne fait qu’augmenter le poids de notre misère. Car que peut servir la puissance à une volonté déréglée, sinon qu’étant misérable en voulant le mal, elle le devient encore plus en l’exécutant ? Ne disions-nous pas dimanche dernier que le grand crédit des pécheurs est un fléau que Dieu leur envoie ? Pourquoi ? sinon, chrétiens, qu’en joignant l’exécution au mauvais désir, c’est jeter du poison sur une plaie déjà mortelle, c’est ajouter le comble. N’est-ce pas mettre le feu à l’humeur maligne dont le venin nous dévore déjà les entrailles ? Le Fils de Dieu reconnaît que Pilate a reçu d’en haut une grande puissance sur sa divine personne ; si la volonté de cet homme eût été réglée, il eût pu s’estimer heureux en faisant servir ce pouvoir, sinon à punir l’injustice et la calomnie, du mois à délivrer l’innocence. Mais, parce que sa volonté était corrompue par une lâcheté honteuse à son rang, cette puis-