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III


VIE PRIVÉE DE GILLES DE RAIS. — SA FORTUNE. — SES DÉPENSES. SES FOLIES. — SON INTERDICTION.

Ce qui précède fait connaître le guerrier, l’homme public : c’est la belle partie de la vie de Gilles de Rais ; ce qui suit est plus particulièrement la part de l’homme privé, du prodigue : c’est l’histoire de l’artiste et du curieux, en qui l’ambition fut tellement maîtresse de tous les mouvements de l’âme, qu’elle le mena jusqu’au crime. Moins brillante que la période à laquelle elle succède, mais moins sombre aussi que celle où elle aboutit, si cette partie de la vie de Gilles de Rais n’excite pas l’admiration comme la première, elle n’inspire pas non plus, comme la dernière, l’horreur et l’effroi. Elle appartient plutôt à la curiosité, et parmi les sentiments mélangés qu’elle fait naître, elle provoque surtout dans l’âme la pitié et la compassion. Le goût des arts et des lettres, l’amour du beau, la passion de la gloire, charment naturellement dans un homme ; mais la peinture en est pénible, lorsque ces passions, qui sont en elles-mêmes un principe de grandeur et de perfection morales, se transforment, dans une âme sans frein, en une cause de ruine, de déchéance et de perversion. C’est un spectacle digne d’une éternelle pitié, que la grande fortune de Gilles de Rais s’effondrant dans le gouffre creusé par son orgueil, et entraînant avec elle, dans sa chute, la gloire, les vertus, la vie même du prodigue. Car, Gilles avait une fortune telle, que, formée aujourd’hui des mêmes domaines et alimentée par les mêmes