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GILLES DE RAIS.

remuant, dans le Poitou. C’était cependant le moment de sa propre disgrâce, et rien n’unit plus étroitement les hommes que la communauté des haines ou les similitudes de fortune. Est-il besoin d’autres faits pour prouver, non pas que Gilles fut fidèle à la Pucelle, mais le peu de cas qu’il fit de sa parole donnée à Georges de la Trémoille ? et convient-il d’en faire plus d’estime que Gilles de Rais lui-même ?[1]

Il ne faut pas s’étonner d’ailleurs que les choses se soient ainsi passées : car il n’est point rare de trouver à cette époque, comme à la nôtre, entre personnages encore bien plus élevés, de ces engagements solennels, qui ne pèsent sur la conscience non plus qu’un fétu de paille : autant en emporte le vent des révolutions. La politique est habile à préparer des conversions motivées. On dirait, si on ne craignait de trop épiloguer sur les mots, qu’il y a dans le document de Chinon, deux expressions d’une véritable habileté diplomatique. Gilles s’engage envers la Trémoille, il est vrai, mais « pour le service du roi » et « toujours en la bonne grâce et amour du roi ». Je ne sais si je me trompe ; mais il semble que ces mots offrent une porte ouverte à bien des trahisons. Servir la Pucelle, n’était-ce pas être utile au roi, et entrer dans ses desseins ? La chute du favori fut regardée comme une heureuse fortune pour la France par tous ses ennemis et bientôt par le roi lui-même : Gilles de Rais ne l’aurait-il pas abandonné pour « le service du roi, » et « toujours pour la bonne grâce et l’amour » de Charles VII ? Mais on craindrait d’être subtil en poussant plus loin dans cette voie : il suffit d’avoir éveillé l’attention sur ces deux petits mots, placés à la fin de l’engagement pris par Gilles de Rais et jetés là, pour ainsi dire, comme sans arrière-pensée, mais qui prennent de singuliers reflets à la lumière des événements dont nous venons de faire le récit. Au moins nous pouvons conclure en disant que la fortune de Gilles fut si peu étroitement liée à celle de

  1. Dom Fonteneau, vol. XXVI ; p. 367, 368 ; an 1429, 8 avril. Original du château de Thouars.