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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

Richer l’avait trouvé. Les empocheurs de Barbe-Bleue sont encore célèbres dans la ville et les environs de Nantes, perpétuant le souvenir de ces disparitions subites d’enfants, dont l’imagination du peuple avait été frappée : le peuple nantais ne redoute pas moins les empocheurs de Barbe-Bleue que les farfadets et les nains. Machecoul, comme Nantes et Tiffauges, est plein des mêmes traditions. Avant la Révolution, on y montrait encore l’épée de Barbe-Bleue ; c’était une lame longue, large et pesante, qu’on pouvait à peine soulever avec les deux mains. Les habitants de Champtocé vous feront voir, dans la crevasse d’une cheminée de la grande tour, entre le ciel et la terre, une pierre qui a la forme d’une tête de mort et qu’on appelle le crâne de Barbe-Bleue, Ce peuple n’est pas encore revenu de ses anciennes terreurs, et le poète a chanté les craintes que donnent toujours le nom et les souvenirs de Barbe-Bleue :

Vous, vous étiez heureux, quand vous étiez enfants ;
Vos ris sonnaient alors chacun de vos instants ;
Car la vie et le jour ont tous deux une aurore,
Vive, fraîche, riante et sans nuage encore ;
Et les pleurs des enfants fondent comme les pleurs,
Que laisse la rosée au calice des fleurs.
Pour moi, mes jours d’enfant ont été des jours sombres ;
Au milieu des vivants, j’étais avec des ombres !
Toujours un spectre affreux traversait mes plaisirs ;
Dans mes cris, dans mes chants, se glissaient des soupirs !
Ni de mon cœur naïf la tremblante prière,
Même le croiriez-vous ? ni la voix de ma mère,
Qui près de mon berceau chantait pour m’endormir,
De l’âpre vision ne pouvait me guérir :

Un géant brandissait sa hache meurtrière,
Une femme faisait sa dernière prière,
Et j’entendais ces mots avec un long soupir :
« Anne, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? »

Ah ! vous, c’est dans un livre à fine reliure,
Que vous avez appris le nom de Barbe-Bleu ;
Encore, à cette page où l’on voit sa figure,
N’est-ce pas, mes amis, vous frissonniez un peu ?
Moi, je suis du pays de cet homme tragique,
Et les maudites tours de son croulant château,