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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

c’est qu’il n’y a rien de commun entre cette légende et le conte de Perrault. Cependant, c’est bien de Barbe-Bleue toujours qu’il s’agit, c’est bien de Gilles de Rais. D’où il faut conclure encore deux choses : d’abord, que cette légende est une de ces inventions populaires, parmi lesquelles Perrault a pris la sienne ; ensuite, qu’il s’agit toujours, sous le nom de Barbe-Bleue, non pas seulement d’un homme qui a tué ses femmes, mais d’un seigneur cruel et redoutable, « le plus affreux des hommes, » de Gilles de Rais, en un mot.

Ainsi la complainte et la légende nomment le personnage historique qui fut Barbe-Bleue ; la légende va plus loin encore : elle donne l’origine de sa barbe bleu d’azur, dont la couleur demeurera toujours si populaire ; enfin, l’auteur y témoigne, en terminant, des croyances de tout un pays[1]. Nous sommes donc ici loin des chambres mystérieuses, des clefs magiques et des dieux à la barbe azurée ; nous sommes bien loin même de la légende de sainte Triphine et des suppositions des archéologues. À mesure que nous marchons en avant, le vague et l’indécis se replient devant nous comme des nuages ; la lumière blanchit ; encore quelques pas, et elle paraîtra dans tout son éclat. Remarquons toutefois combien, après l’histoire, la précision des traditions écrites, de la complainte et de la légende, donne de force à notre opinion. C’est beaucoup déjà que cet accord de la poésie et de l’histoire ; il y a cependant quelque chose de plus encore : l’accord de la poésie et de l’histoire avec les traditions orales, multiples, constantes, universelles et unanimes, des peuples de l’Anjou, de la Vendée, du Poitou et de la Bretagne.

Quatre siècles au plus nous séparent des contemporains de Gilles de Rais : les peuples qui ont souffert de ses cruautés se sont succédé sans interruption et sans changement aux lieux mêmes qu’épouvanta cet homme. Ses châteaux détruits s’élèvent en ruines, immenses silhouettes sombres, au-dessus des mêmes campagnes ; son souvenir, comme autrefois son

  1. C’est ce qu’il y a de plus important dans cette légende.