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LES TRADITIONS.

sans interruption de siècle en siècle, en quelques pas nous ramènent en arrière jusqu’à l’origine des faits ; car les vieillards peuvent être considérés comme des siècles et les siècles sont, pour ainsi parler, les années d’une nation. Lors donc qu’ils nous racontent avec précision, avec constance, avec unanimité, un fait dans un ordre de choses où d’ordinaire tout est si confus, si vague, si indécis, on ne peut hésiter plus longtemps : il est clair que ce fait est entièrement certain. Ainsi donc imitons le sage Platon consultant avec respect les vieillards de la Grèce sur les traditions de la religion et de la patrie, dont il les regardait justement comme les dépositaires fidèles. On doit ce respect à la vieillesse de s’incliner quand elle parle : devant les affirmations constantes, unanimes, précises des sénateurs du peuple, la critique timide et incertaine n’a plus qu’à faire taire ses timidités et à quitter ses hésitations. Or, nos anciens, ou par leurs légendes écrites, ou par leurs récits oraux, affirment partout, ils ont toujours affirmé, ils affirment avec unanimité, avec évidence, d’une manière précise, que Barbe-Bleue, pour eux et pour leurs ancêtres, est et fut toujours le même homme que nous avons déjà nommé sur la foi des historiens et des publicistes de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne, Gilles de Rais, le cruel et redouté seigneur de Tiffauges, de Pouzauges, de Machecoul et de Champtocé. Écoutons d’abord les légendes populaires.

Car il ne saurait être question plus longtemps de tous ceux, à qui, en Bretagne, on a voulu octroyer plus ou moins le triste honneur de l’immortalité qui demeure attachée au nom et au souvenir de Barbe-Bleue. Qui se rappelle, dans le peuple, le seigneur de Beaumanoir ? qui se souvient même de Cômor, le roi breton de la légende de sainte Triphine, aussi inconnue dans nos campagnes que le roi Cômor lui-même ? Cependant il faut dire un mot de cette légende et surtout des peintures, qui ont fait croire à quelques-uns que le conte de Barbe-Bleue en découlait directement. Or, la légende n’a presque rien qui ressemble au conte ; les sou-