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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE.

œuvre du célèbre Le Nôtre : son conte de Barbe-Bleue est une rose moderne ; Fénelon, avec son goût si vif des choses simples et naturelles, eût préféré l’églantier primitif qu’on trouve dans nos bocages. Pour conclure, disons donc que le conte ancien et parlé s’est perpétué même après le drame écrit et rajeuni de Perrault, et, ce qui ajoute encore singulièrement de poids à notre opinion, dans la contrée même où fut le terrible Barbe-Bleue. Car on peut indiquer le pays qui l’a maudit, les lieux où il a demeuré, plus encore, l’époque où il a vécu et le nom historique qu’il a porté.

On a beaucoup écrit sur cette question. Le dernier écrivain qui s’en est occupé est M. Charles Deulin. Son article sur Barbe-Bleue se trouve dans la Revue de France du 30 novembre 1876[1]. Ce travail a cela de précieux qu’il renferme les opinions diverses de ses devanciers, qu’il rejette, avec la sienne propre qu’il appuie de ses raisons : il nous offre donc l’occasion d’apprécier comme lui toutes les opinions qui nous semblent fausses, et d’établir, à notre tour, celle qui nous paraît la vraie.

Aux yeux de M. Charles Deulin, le conte de Barbe-Bleue remonte à l’antiquité la plus reculée, pour ne pas dire jusqu’à l’origine du monde. C’est le système favori d’un grand nombre d’écrivains aujourd’hui, de faire tout découler des sources les plus éloignées : tout nous arrive de l’Inde ; tout nous vient du berceau du monde. Assurément, s’il ne s’agit que de l’idée morale contenue dans le conte de Barbe-Bleue, il vient directement du cœur de l’homme ou de la femme et du paradis terrestre ; car la curiosité de la femme, dont il peint au vif les convoitises impatientes et les conséquences funestes, est née du cœur d’Ève, et, de la sorte, le conte de Barbe-Bleue, comme l’humanité, vient de son sein : avec la

  1. T. XX. p. 975. — Ce travail comprend six pages et n’a d’autre mérite que celui d’une érudition rare. M. Deulin a indiqué tous les contes divers qui offrent quelques rapports avec Barbe-Bleue. Les conséquences qu’il en tire sont loin d’être incontestables, comme la suite de ce travail le fera voir.