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GILLES DE RAIS, BARBE-BLEUE

consacrés par la tradition, que le conteur n’est pas libre de les modifier à son gré. Ainsi, dans l’imagination des nourrices et des enfants, Barbe-Bleue ne sera jamais que l’homme cruel par excellence, et sa sombre figure, apparaissant entre les rideaux qui ombragent les berceaux, aura toujours cet aspect sinistre que lui donne sa barbe d’azur, immortalisée comme son souvenir. Un caprice de l’imagination populaire a fait de cette barbe comme la marque caractéristique du crime et de la cruauté, et cette marque, nul ne pourrait la lui enlever ou même la changer, sans détruire l’idée du personnage lui-même. Point d’enfant, point de nourrice, point d’homme même, qui puisse se représenter un Barbe-Bleue avec les traits d’un jeune seigneur aimable et doux, au menton orné d’une élégante barbe noire, ou uni et blanc comme une boule d’ivoire bien poli. Toujours il sera l’homme farouche de nos rêves et de nos jeunes années, à la voix terrible, au cœur dur et froid comme l’acier, aux yeux secs et méchants, à la barbe d’azur sombre, tel enfin que nous l’ont peint les récits du conte et de la légende.

L’esprit du peuple, quoique très fécond en inventions, a toujours été contenu par cette loi fondamentale que nous venons de dire. Mais, à ce personnage, le plus vivant de tous ceux qui sont nés des créations populaires, le plus dramatique de tous ceux qui piquent la curiosité des enfants, l’imagination, sans jamais altérer cependant le fond du caractère, a donné les contenances et les attitudes les plus variées. J’ai connu un vieillard, comme plusieurs en évoquent dans leurs souvenirs. Qu’il aimait ses petits enfants, lorsque, montés sur ses genoux, ils caressaient sa longue barbe blanche ! et qu’il en était aimé ! Il avait un si doux visage ! une imagination si jeune, si riante et si féconde ! un cœur si plein de condescendances, pour ne pas dire de faiblesses ! Il tombait de ses lèvres plus de légendes et de contes que de cheveux blancs de sa tête, qui tombaient cependant, comme tombent, au vent du soir, les feuilles d’automne dans les bois : frère, en un mot, du grand-père qu’a chanté le poète, mais