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LE TRIBUNAL.

Pour le double procès qui allait s’ouvrir, les juges étaient désignés d’avance et par l’enquête qui avait été faite et par les droits inhérents à la charge de chacun d’eux. Deux tribunaux s’organisèrent : l’un, ecclésiastique, pour juger les crimes qui étaient du for de l’Église ; l’autre, civil, pour juger ceux qui relevaient de l’État. Il ne faut donc pas dire avec Vallet de Viriville : « L’Inquisition s’adjoignit au juge séculier. Gilles de Rais fut ainsi déféré au Grand Juge de Bretagne, assisté de l’évêque diocésain et du vicaire du Saint Office. » Encore une fois, ce fut l’évêque, qui ouvrit le procès ; le juge séculier le suivit ; et d’Argentré est plus dans le vrai lorsqu’il dit : « Son procès fut fait par le juge d’Église… « assistant le juge séculier, comme étant plusieurs desdits crimes de la connaissance de l’un et de l’autre[1]. »

Jean de Malestroit, ancien évêque de Saint-Brieuc, évêque de Nantes depuis 1419, était d’une illustre famille de Bretagne, en qui la grandeur du nom se trouvait encore rehaussée par l’éclat des charges. Depuis vingt ans déjà, il était évêque de Nantes, lorsque se présenta la cause célèbre à laquelle son nom demeurera éternellement attaché[2]. Proche parent, chancelier et principal conseiller du duc de Bretagne, sa parenté et sa haute situation lui donnaient le pouvoir d’agir avec efficacité sur L’esprit de Jean V ; enfin, comme il était placé par sa charge épiscopale au-dessus de toute haine particulière, il avait, pour agir avec fermeté contre le maréchal, toute la liberté et l’énergie que donne l’indépendance. Aussi l’histoire se plaît à lui rapporter l’initiative de ce grand procès, et cette initiative est toute à sa louange. Alors que tout le monde hésite encore autour du maréchal, l’évêque-juge provoque en secret une enquête sévère sur la vie du puissant et terrible baron ; ce qu’il y déploie d’activité et de précautions est extraordinaire ; ni les visites épiscopales, ni les interrogatoires, ni l’étude des dépositions faites par les

  1. D’Argentré, Hist. de Bretagne, I. c.
  2. Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. II, III, IV : p. XVII, XVIII.