Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
GILLES DE RAIS.

taient encore à parler : un document de cette importance, émanant de la puissance épiscopale, était de nature à dissiper leurs craintes et à faire cesser leurs incertitudes. Tout au moins, à défaut de ces timides, il y avait le duc, dont la cupidité et l’intérêt, dans les dernières années, avaient si étroitement uni la fortune à celle de Gilles de Rais : une autorité aussi haute que celle de l’évêque de Nantes, son parent, son chancelier et presque son égal en puissance, devait inévitablement faire impression sur l’esprit de Jean V, au moment surtout où celui-ci avait tant à se plaindre d’un vassal révolté. Les lettres épiscopales, en lui dévoilant tout ensemble et la grandeur du mal et les progrès déjà faits par l’enquête, lui donnaient à comprendre qu’il n’était que temps d’étouffer la voix de l’amitié et plus encore celle de l’avarice, pour écouter les justes réclamations des malheureux. Elles soutenaient, d’ailleurs, les commissaires de l’évêque dans leur tâche pénible et quelquefois dangereuse, et encourageaient les témoins à redoubler de zèle.

Si on les examine attentivement, en effet, ces lettres, qui établissent une si grave présomption contre le coupable, ne préjugent en rien la question par une affirmation péremptoire des crimes dénoncés. En signalant le mal, l’évêque n’en affirme pas la certitude ; il rapporte seulement les dépositions des témoins entendus, la nature des crimes signalés, le bruit public, la croyance d’hommes sages et honorables. On dirait un éveil jeté dans le pays, comme un cri d’alarme qui démasque un ennemi caché. Jusque dans les craintes de Gilles de Rais enfin, on sent le secret dont l’évêque enveloppait ses allées et ses venues[1]. Il paraît avoir le pressentiment de l’orage qui s’amoncelle sur sa tête ; il est inquiet ; il demande à Prélati de s’enquérir auprès du démon s’il n’a rien à craindre des sourds grondements de la foudre dans le lointain[2] ; s’il n’y a point de danger pour lui à rejoindre ! le

  1. Proc. ecclés.. Act. d’accus., art. xx, p. xxiii.
  2. Proc. ecclés.. Conf. de Prélati, p. lxxi