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GILLES DE RAIS.

qui l’avait jusque-là servi avec tant de dévouement ; il le fit saisir et jeter dans un sombre cachot, au château fort de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, où il faillit mourir dans les fers.

Pendant ce temps, Gilles perdait moins que jamais de vue et de souvenir Blanchet, qui pouvait être si dangereux par ses paroles. Il le connaissait, en effet, comme un homme à la langue « indiscrète, fragile, méchante et volatile[1]. » Il n’avait jamais voulu, il est vrai, le faire entrer dans ses secrets les plus intimes ; mais il avait pu en pénétrer le mystère. Cet homme devait donc disparaître : on fit comprendre à Gilles de Rais que sa propre sûreté dépendait de la discrétion d’Eustache, et que, pour s’assurer de cette discrétion, il n’y avait d’autre moyen que la mort ou tout au moins la prison. Le maréchal en eut bientôt pris son parti. Un jour, quatre hommes vigoureux, quatre amis dévoués, mais de ce dévouement que donne aux hommes coupables la crainte d’être trahis, Poitou, Gilles de Sillé, Jean Lebreton et Henriet, entrent à l’improviste dans la ville de Mortagne, pénètrent jusque chez l’hôtelier, s’emparent d’Eustache Blanchet surpris et s’éloignent rapidement dans la direction de Montaigu. Lorsqu’ils furent arrivés à Rocheservière, Eustache comprit qu’on le menait tout droit à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, sans aucun doute pour l’y renfermer dans un cachot, comme Jean Petit, ou pour le mettre à mort. Par une résolution énergique, il refusa d’avancer plus loin et fit si bien, et par ses paroles et par sa résistance, que ses anciens amis durent le conduire à Machecoul. Comme ils en approchaient, Poitou lui confia que, s’il était allé à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, sa fin était certaine ; ainsi le maréchal de Rais, leur maître, l’eût puni d’avoir parlé, comme il l’avait fait, à l’orfèvre qu’on lui avait député ; lui donnant à entendre, par cet avertissement charitable, qu’éloigné de Mortagne où ses imprudentes paroles auraient pu être si dangereuses pour tous, il eût à bien

  1. Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fo 395, vo. — Proc. ecclés., p. li.