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LE CHOIX DES VICTIMES.

haut la peinture. Rien n’arrêtait Gilles dans sa passion : si celui qu’il avait désigné avait un frère, il les faisait enlever tous les deux et tous les deux mettre à mort[1], de peur que l’un ne révélât la prise de l’autre. D’ailleurs, ils ne languissaient pas longtemps dans les prisons de ses tours. Le soir même qu’ils lui étaient amenés, tout au plus tard le lendemain, ils étaient massacrés, brûlés, et leurs cendres jetées au vent ou dans l’eau des douves[2].

Ce détail montre combien est fausse l’histoire, telle que l’a faite la fantaisie des romanciers, et particulièrement l’imagination de Pitre-Chevalier : « En vain la mère en pleurs, dit-il, redemandait son fils ou sa fille à tous les saints du paradis : les oubliettes de Tiffauges gardaient leur proie et leur secret. Cependant elles ne purent le garder si bien qu’il ne transpirât au dehors… Des cris lugubres furent entendus dans la nuit ; les traces de sang conduisaient vers la caverne immonde. Les plaintes et les investigations se multiplièrent en même temps que les victimes… On trouva dans les souterrains de Tiffauges, dans la tour de Chantocé, dans les latrines du château de la Suze, les cadavres ou les squelettes de cent quarante enfants massacrés ou flétris. Un essaim de pauvres jeunes filles, réservées à la honte et à la mort, s’en échappa comme un chœur d’anges échappés à l’enfer. La tombe garda le silence sur le reste[3]. » Rien ne manque à ce tableau, ni les sombres couleurs de la prison, ni les émotions de la délivrance : malheureusement, il n’en fut pas ainsi que le raconte l’écrivain breton. Aucun enfant vivant ne sortit des demeures de Gilles : tout ce que l’on en retira fut un peu de cendres, qu’on disait être de la cendre des victimes brûlées, et aussi un petit vêtement d’enfant, qui sentait si mauvais, que les témoins de cette scène n’en pouvaient supporter l’odeur[4]. C’eût été une grave imprudence de garder, sous les

  1. Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. lxxxvii, lxxxviii. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 484. ro : Conf. de Poitou, fo 388, ro.
  2. Proc. ecclés., Conf. de Henriet, etc., p. xcviii.
  3. Pitre-Chevalier, La Bretagne ancienne, p. 480-481.
  4. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept 1440, p. cxxvii.