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GILLES DE RAIS.

séduisante auprès des enfants des villes, où la corruption est souvent plus précoce, l’oisiveté plus grande, les guets-apens plus faciles. Chose incroyable et qui montre tout ensemble et son audace et son habileté : ce n’étaient pas seulement des enfants de sept et huit ans qu’elle enchantait par ses paroles, mais des jeunes filles nubiles, des jeunes gens et presque des hommes.

Tels étaient les pourvoyeurs de Gilles de Rais[1]. L’on est effrayé à de semblables récits, et l’imagination se demande quelle devait être la vie commune et journalière entre Gilles de Rais et ses complices, entre des hommes tels que Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, Henriet, Poitou, et des femmes comme Perrine Martin. Il faut renoncer à peindre cette folle société. Pétris de boue et de sang, ces hommes se jouaient de la vie, de la vertu, de la mort ; donnant le coup fatal sans sourciller, entre deux plaisirs. Mais le héros lui-même, le maître de chœur de ce triste cortège, qu’était-il donc, puisqu’il les surpassait tous ? Le plus vil, le plus cruel, le plus effroyable des hommes.

Ce misérable prenait vis-à-vis d’eux toutes les précautions dont peut s’entourer le crime : si mauvais et si pervertis qu’ils étaient, il craignait toujours une trahison. Dans ce monde plein de défiances, les complices eux-mêmes lui étaient toujours suspects ; il fallait être nanti de tous les crimes pour offrir à sa peur quelque sécurité. Il les rapprochait de lui par la corruption ; il leur fermait la bouche en leur faisant un épouvantail de la justice et de la mort, auxquelles ils ne pourraient échapper eux-mêmes s’ils dévoilaient ses turpitudes cachées ; bien plus, il se flattait de les rendre muets au nom de la religion elle-même par des engagements sacrés, passés devant Dieu qu’ils outrageaient. Car, sur ces âmes avilies, la religion seule gardait une sorte d’empire ; pour ces consciences oblitérées par le crime, accoutumées depuis longtemps à ne respecter plus ni lois divines

  1. Proc. civ. ; Conf. de Gilles, fo 394, ro.