Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
ROGER DE BRICQUEVILLE.

vent. La principale préoccupation des hommes qui n’ont pas de fortune, mais qui ont de l’ambition, est de récolter ce que les riches sèment sans discrétion autour d’eux. Roger, qui aurait pu, comme les autres, vivre et s’enrichir de ce qu’il aurait glané, fut plus favorisé qu’aucun d’eux, car il fut appelé à gouverner l’immense fortune de Gilles, son maître. Les rapports intimes qu’il avait avec le maréchal, l’ascendant qu’il possédait sur lui[1], la confiance sans bornes dont il était l’objet, tout porte à croire qu’il fut, pour son profit personnel, âpre travailleur au pillage de la maison. Il avait tout dans ses mains, les châteaux, les bois, les étangs, les champs, les prairies, les vignes, les bijoux, les meubles, et même la fille unique du maréchal ; tout se gérait aux caprices de sa volonté ; et il pouvait agir en tout sans contrôle comme sans responsabilité, même aux yeux du baron, son maître.

Pour arriver, étant parti de si bas, à ce haut point d’influence, le jeune Roger de Bricqueville avait dû ne pas ménager à son cousin les condescendances et les services. D’abord attaché à Gilles de Rais pendant ses campagnes contre les Anglais, il le servit moins par devoir que par ambition. Il lui convenait, disait-il plus tard pour sa défense, d’être complaisant envers un seigneur dont il était le sujet et qui lui donnait généreusement le vivre et le couvert. Comment aurait-il osé contrarier un maître si bon et si magnifique ? C’eût été de l’ingratitude ; d’autant plus que le jeune écuyer, assez timide de son naturel, n’était pas doué d’un très grand jugement. Telles sont, du moins, les raisons qu’il fit valoir plus tard pour se laver du crime d’avoir flatté sciemment les goûts mauvais et de s’être fait le pourvoyeur des plaisirs honteux de son maître. Le caractère de l’homme se révèle dans ses paroles : fourbe, pour atteindre son but, rien ne lui coûte, pas même la perte de sa réputation ; il conviendra de son peu de jugement et de son naturel timide ; folie et lâcheté, voilà ses excuses. Pour recourir à de pareils moyens de défense, il fallait bien évidemment que le jeune

  1. Proc, civ., Conf. de Poitou, fo 385, ro.