Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
LES POURVOYEURS.

la douleur : si la compassion d’un ami soulage une âme affligée, la complicité du mal est au contraire un surcroît de pesanteur pour une conscience coupable : l’aiguillon du remords s’envenime encore de la peur d’être trahi ; il devient plus vigilant par les soupçons toujours inquiets qui environnent le crime. Le premier homme, que Gilles jugea digne de lui être associé, fut un de ses amis et de ses parents, Gilles de Sillé, qui exerça sur lui, jusque dans les derniers temps, une funeste influence ; puis, bientôt, il lui adjoignit Roger de Bricqueville, gentilhomme normand, l’un de ses cousins aussi, dont la famille, fuyant devant l’invasion anglaise, s’était réfugiée sur les confins du Poitou et de la Bretagne ; enfin, il fit entrer dans ses secrets cinq ou six autres compagnons de débauche et d’orgie, Henriet Griart et Poitou[1], Rossignol et André Buschet, Petit Robin ou Robin Romulart, Eonnet de Villeblanche, Hicquet de Bremont, et peut-être aussi François Prélati lui-même. Tels étaient les pourvoyeurs des plaisirs cachés de Gilles de Rais[2].

Car, dans la foule dont il aime à s’entourer, il faut distinguer ceux qui prennent part à ses plaisirs connus et ceux qui préparent ses plaisirs secrets. On ne peut imaginer

  1. Henri Griart, surnommé Henriet, né dans la paroisse de Saint-Jacques de la Boucherie, à Paris, avait environ vingt-six ans ; il fut arrêté avec Gilles de Rais, forma alors le dessein de se trancher la gorge d’un coup de couteau, fut jugé et brûlé vif, à Nantes, le même jour que son maître, avec Poitou, son complice.

    Étienne Corrillaut, surnommé Poitou, né à Pouzauges, au diocèse de Luçon, était âgé de vingt-deux ans environ. Il était entré au service de Gilles de Rais, qui l’eût infailliblement mis à mort « à coups de dague », comme les autres, sans Gilles de Sillé. Celui-ci fit remarquer au baron que Corrillaut était un « superbe garçon, et qu’il valait bien mieux en faire un écuyer. » Gilles se laissa toucher. Ainsi, la beauté, la force et surtout l’âge, ces avantages mortels à la plupart des autres, valurent la vie à Poitou. Mais Gilles exigea du jeune homme le serment de ne jamais révéler, à qui que ce fût, ni ce qui venait de se passer entre eux, ni ce qu’il pourrait apprendre encore, à l’avenir, des secrets de son maître : je n’ai pas besoin de dire que Poitou n’hésita pas. (Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. lxxxviii. — Proc. civ., fo 385, vo.)

  2. Proc. ecclés. et civ., Conf. de Gilles, de Poitou, d’Henriet et de Prélati, passim.