observations, nourris même par des indiscrétions et des paroles légères de Gilles ou de ses familiers[1]. Personne cependant n’ose ouvrir la bouche pour se plaindre ; on gémit, mais c’est en secret ; on se parle, mais c’est tout bas ; on accuse, mais en regardant autour de soi. Qui donc oserait élever la voix contre un grand seigneur ? Le maître n’est pas doux à ses ennemis : on se tait donc au loin autour de ses châteaux ; ils pèsent de leur lourde masse sur les poitrines oppressées ; l’on dérobe jusqu’à l’abattement de son visage à des yeux scrutateurs qui ne le pardonneraient pas. Aussi bien, tout est péril pour les opprimés : les familiers du maréchal, ses hommes d’armes, les gens de sa chapelle[2], tous ceux de sa maison qui vivent des miettes de sa table ; car ils ont des menaces à la bouche, et l’on sait qu’au moindre bruit, au moindre murmure accusateur qui montera jusqu’aux oreilles de Gilles, ce sera l’oppression, la prison et peut-être la mort : « Desquelles pertes et autres, dit l’Enquête civile, les témoins ont ouï faire souvent de grandes clameurs, que l’on n’osait pas faire entendre en public[3]. »
Mais au loin, en dehors des limites où le nom du sire de Rais est une puissance et par conséquent une menace, on raconte à haute voix les récits les plus effrayants sur Tiffauges et sur Machecoul. Un voyageur de Machecoul arriva un jour à Saint-Jean d’Angély ; à table, comme ses hôtes lui demandèrent d’où il venait, il répondit qu’il arrivait de Machecoul. À ce nom, l’effroi se peint sur tous les visages ; on s’écrie de tous côtés : « Quoi ? de Machecoul ? Mais on raconte de ce pays-là des choses épouvantables : on dit qu’on y mange les petits enfants ! » On le voit : le conte avait déjà sa matière trouvée dans les récits exagérés du peuple : l’Ogre, le Croquemitaine, dont, au pays théfalien, l’on effraye encore aujourd’hui les enfants, apparaissent dans le procès, et, dès