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DISPARITIONS D’ENFANTS.

peuple, toujours porté à mêler le surnaturel aux effets mystérieux dont il ne voit pas la cause, se disait, si l’on en croit la tradition, « qu’ils étaient enlevés par des fées ou des nains malfaisants. » C’était une explication qui se présentait d’elle-même dans le pays par excellence du conte et de la légende ; triste consolation toutefois pour le cœur d’un père ou d’une mère, en présence du foyer vide ou de la table déserte ! Elle ne pouvait calmer une douleur qui toujours grandissait : les regrets sont amers dans les cœurs des parents et l’espérance est douce à ceux qui souffrent et qui n’ont pas de leur malheur une certitude absolue : les nains et les fées s’évanouirent donc bientôt, comme un songe, devant la réalité d’un malheur qui se renouvelait sans cesse. Si le premier mouvement du peuple le porte à attribuer toute chose mystérieuse à un pouvoir surnaturel, il ne tarde pas, pour peu que sa misère se prolonge, à rejeter des explications qui ne satisfont ni sa raison ni sa douleur ; il arrive à se demander si les nains et les fées n’ont pas revêtu la chair d’hommes méchants et cruels. Quand une fois cette pensée est entrée dans son esprit, il l’exploite, il la fortifie par des observations ; il prête l’oreille à tous les bruits ; il observe toutes les traces ; il interroge tous les vestiges ; il explore toutes les routes de la vérité ; et, peu à peu, à force de patience, resserrant le cercle où il enveloppe le coupable, il le surprend enfin à son œuvre maudite. Alors la misère et la mort s’abattraient sur lui, sur ce qu’il a de plus cher au monde, que l’infortuné éclaterait en cris de vengeance vers le ciel et vers la justice : tel est, en deux mots, ce qui se passa autour de Gilles de Rais. Les premiers enfants qui disparurent ne frappèrent pas outre mesure la foule : on crut à quelque accident naturel : les bois étaient profonds, les rivières rapides, les étangs dangereux. Seules, les familles s’affligèrent au foyer attristé, avec les amis, les parents ou les voisins, qui s’associaient à leur misère. Mais bientôt le bruit de semblables disparitions se répandit ; de nouvelles douleurs, racontées parmi le peuple, donnèrent aux anciennes une recrudescence