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SCIENCE, POUVOIR, RICHESSES.

L’occasion ne tarda pas à se présenter. Pour cette fois, ce fut le trompette du Mesnil qui lui demanda de se prêter à la même comédie. Le baron, par espoir de réussir enfin, accorda tout ce qu’on exigeait. Il écrivit une nouvelle cédule, où il promettait avec serment de donner au démon, à chaque fois que celui-ci se présenterait, telles choses qu’il désignait, et dont le souvenir lui échappait dans la suite. La lettre achevée, il tira de nouveau de son petit doigt quelques gouttes de sang, et signa comme la première fois son nom en entier : « GILLES ».

Quant aux termes de la lettre, il ne put les rappeler précisément à ses juges : il se ressouvint seulement qu’il demandait au démon trois choses, science, puissance et richesses ; lui promettant en échange tout ce qu’on demanderait, à l’exception expresse toutefois et de son âme et de sa vie. Mais toute démarche fut inutile : le démon ne se montra pas[1]. Il allait plus loin encore pour briser toutes les résistances ; car il n’est pas d’extravagances qui ne soient passées par la tête de cet insensé. Plus il lui était difficile d’évoquer l’esprit malin, et plus il redoublait ses efforts. Il osa même, une fête de la Toussaint, faire chanter l’office du jour en l’honneur des esprits maudits et des damnés, détournant ainsi en faveur du diable et de l’enfer des hommages qui ne sont dûs qu’aux saints et à Dieu. Mais l’indigne mascarade, où le dépit apparaît si manifestement sous la farce sacrilège, fut aussi inutile que tout le reste : l’offrande dérisoire du sacrifice divin ne lui réussit non plus que l’oblation de son propre sang ; la déception était au bout de toute tentative, amère et cruelle comme le rire moqueur.

Science, pouvoir, richesses : trois choses qui sont l’objet de tous les vœux du maréchal ; âme et vie : deux biens exclusifs, sur lesquels il ne permit jamais au démon d’étendre sa patte velue. À quelque époque de son existence qu’on le

  1. Proc, ecclés. Conf. de Gilles, p. LV. — Proc. civ., fos 401, vo et 402, ro et vo ; Conf. de Gilles.