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« JE ME DOUBTE. »

n’offre pas d’objections sérieuses : les limites, qui séparent les deux mondes, peuvent être franchies, et le démon, ou vain fantôme, ou réalité devenue sensible pour un moment aux yeux mortels, peut se mettre en communication directe et intime avec l’homme. Dans l’histoire de ces relations surnaturelles, tout n’est peut-être pas supercherie : la raison et la foi ne nous permettent pas, si nous croyons à ces autorités, de penser sur ce point autrement que l’Église, tant d’historiens et tant de philosophes. Quant aux hommes qui n’admettent aucune de ces autorités en cette matière, encore une fois, il faudrait, pour les amener à nos croyances, les conduire par de trop longs détours, et ce n’est ni le lieu ni le moment d’entreprendre un traité en règle sur l’existence des démons et sur leur pouvoir funeste.

Si donc il en est, qui, pour une raison ou pour une autre, rejettent ce sentiment, l’on ose croire, l’on présuppose qu’ils laissent à d’autres la liberté de penser autrement qu’eux sur ce sujet. À ces esprits-là, Bodin ; dès le XVIe siècle, disait avec malice : « Or, je n’espère pas que personne écrive contre cet œuvre, si ce n’est quelque sorcier qui défende sa cause : mais si j’en suis adverty, je lui diray ce que l’on dît en plusieurs lieux de ce royaume à ceux qui sont suspects d’être sorciers ; d’autant loin qu’on les voit, sans autre forme d’injure, on crie à haute voix : « Je me doubte ! » afin que les charmes et maléfices de telles gens ne puissent offenser. » À ses contradicteurs, l’auteur de ce livre ne criera pas comme Bodin : « Je me doubte ! je me doubte ! » : on sait bien que de telles gens ne sont pas sorciers ; mais pour arrêter sur leurs lèvres le sourire moqueur et les critiques dédaigneuses, peut-être suffira-t-il de répéter avec Bodin cette maxime d’un grand bon sens : « Il ne faut pas s’opiniâtrer contre la vérité, quand on voit les effets et qu’on ne connaît pas la cause. »

S’il faut s’en rapporter aux aveux contenus dans le procès, ce fut vers l’année 1426 que Gilles de Rais se livra, pour la première fois, aux pratiques occultes de la magie. Mais dans