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LES COSTUMES.

tumes, quand ils avaient une fois servi, n’étaient point conservés pour être économiquement appropriés à de nouveaux drames : c’eût été, en effet, une parcimonie bien indigne d’un homme qui tenait à passer pour avoir des richesses inépuisables. Voilà ce qui causait de si prodigieuses dépenses ; « car, à chascune foiz que il faisoit jouer, il faisoit faire, selon la matière, habillemens tous nouveaulx et propres[1]. » Sans doute, dans la représentation des mystères, lorsque les ornements d’église devaient entrer dans le décor, sa chapelle était toute prête, et le théâtre devenait un lieu où il avait occasion d’exhiber ses richesses aux yeux de la foule et de satisfaire ainsi sa vanité : chapes, chasubles, dalmatiques, aubes fines, toute la garde-robe ecclésiastique que nous avons décrite, si riche, si somptueuse, était mise à la disposition des acteurs. Mais, en dehors des pièces religieuses où l’on pouvait employer ce genre d’ornements, il y avait d’autres drames où il en fallait de tout différents, les farces, les moralités, les moresques, les personnages. Il se souciait d’ailleurs fort peu de faire tout exécuter à neuf, puisque, à chaque pièce nouvelle, il commandait de nouveaux costumes. C’est à quoi servaient ces étoffes précieuses, achetées à énorme prix, uniquement pour les nécessités passagères du moment ; ces draps d’or et d’argent, ces pièces de soie et de velours, dont le lendemain il ordonnait de le débarrasser pour rien comme de choses vieilles et inutiles. Acheter cher, au-dessus de tout prix raisonnable, et revendre à vil prix, au-dessous de toute limite imaginable, il n’est pas encore une fois de plus court chemin pour aller à la ruine. Ces folies sont inconcevables, et l’on serait porté à les croire très exagérées, si elles n’étaient rendues vraisemblables par des dépenses plus excessives encore ; car ici l’incroyable sert de preuve à l’incroyable, et, pour admettre d’invraisemblables prodigalités, il suffit de reconnaître, toujours sur la foi de documents certains, des folies plus invraisemblables encore.

  1. Mémoire des Héritiers, fo 10, ro.