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CHASSES FANTASTIQUES.

La naïve imagination du peuple n’a-t-elle pas atteint au sublime, lorsqu’elle a inventé cette railleuse et effrayante leçon pour la vaine ambition des conquérants ?

Souvent, c’est sur les anciens champs de bataille qu’ont lieu les pénibles évolutions des esprits guerriers[1]. Dans un village situé sur le côté gauche de la rivière de Dieppe, on aperçoit des cavaliers blancs parcourant la prairie et retournant la terre avec leurs lances. La tradition locale nous apprend qu’autrefois ces cavaliers blancs avaient été défaits par d’autres cavaliers rouges. Si une bataille fut, en effet, donnée en ce lieu, on pourrait croire que ce fait historique remonte au temps des Romains, car il est bien connu que la cavalerie des Romains portait des manteaux blancs[2].

Quelquefois aussi, des esprits viennent troubler de leurs apparitions les armées qui se disposent à un prochain combat. Mais, alors, ces ombres prophétiques appartiennent-elles déjà, et depuis long-temps, au cercueil ? Ne serait-ce point aussi bien les âmes des guerriers destinés à succomber, qui, dans leur pressentiment fatal, ont pris des avances sur la mort, et protestent contre cette douloureuse séparation, dont elles n’ont pas atteint les dernières angoisses ?

Des noms maudits, exécrés, comme ceux de Caïn, d’Hérode, de Pharaïlde ou Hérodias[3], servent parfois de cri de ralliement à la chasse furieuse ; aussi ne faut-il pas s’étonner que l’apparition en soit considérée comme un sinistre présage. La chasse Caïn, par exemple, qui se montre en Normandie, aux environs d’Orbec, annonce toujours quelques malheurs, et surtout la mort d’une personne en danger. Dans le Périgord, l’apparition de la chasse Hérode est un signe certain qu’il

  1. Le Loyer, Discours des Spect., p. 197, 332, 345, 358, 389. — Schott, Physica curiosa, p. 230, cité par Bekker, Monde enchanté, t. i, p. 292.
  2. Vitet, Histoire de Dieppe, t. ii, p. 311.
  3. Sur Pharaïlde ou Hérodias, voyez Chronique rimée de Philippe Mouskes : introduction, p. cxxxix.