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RICHARD SANS-PEUR.

légende, et nous les avons considérés comme des reliques précieuses de la tradition[1].

D’ailleurs, tous ces contes de diableries, rapportés dans leur naïveté primitive, sont peut-être la meilleure introduction possible pour nos commentaires sur les superstitions normandes. Plusieurs d’entre celles-ci jouent un rôle très important dans l’histoire de Richard Sans-Peur ; elles s’y développent avec complaisance, et s’y révèlent avec simplicité, comme il convient aux idées qui ont foi en elles-mêmes. Bien plus, on peut les surprendre en pleine puissance d’actualité, puisqu’elles se mettent en rapport avec le monde extérieur dans la personne de l’héroïque Richard. Elles se font considérer comme de rudes épreuves, mais efficaces cependant pour le perfectionnement humain. C’est au milieu des luttes qu’elles doivent susciter, que se développera la confiance religieuse de l’humanité en elle-même, la conscience de son droit de suprématie sur le monde des ténèbres. Ainsi, Richard Sans-Peur, dans la portée poétique de son caractère, n’est pas seulement le descendant des conquérants, le normand intrépide qui représente la valeur brutale et farouche des peuples barbares ; c’est aussi le compagnon des Paladins, le précurseur des Chevaliers, l’apôtre d’une vertu nouvelle ; la force intelligente et morale qui s’attaque bravement à l’erreur ne se laisse point intimider par ses menaces, ni décourager par ses ruses, et, comme une Ève radieuse, écrase sous ses pieds la tête du serpent, c’est-à-dire abolit le mal en le dépouillant des faux et honteux prestiges qui font sa puissance.



  1. Nous n’avons pas donné place ici à certains faits par lesquels le roman en prose renchérit sur le roman en vers. Ces interpolations n’ont aucune valeur traditionnelle et ne servent qu’à défigurer la donnée primitive. Il nous suffit d’indiquer au lecteur que l’incident principal est le second mariage de Richard Sans-Peur avec la belle Clarice, fille du roi d’Angleterre, que le duc, dans un tournoi donné par Charlemagne, a rencontrée sous la conduite de son prétendant, l’amoureux de Galles. Du consentement de cette princesse, Richard l’enlève à son passage à Rouen, après avoir vaincu en duel le chevalier de la tendre Clarice.