Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
CHAPITRE III.

rerais être enterrée dans une chapelle qui est située au milieu de la forêt dans laquelle j’ai été élevée, et qu’auparavant vous y veilliez pendant une nuit auprès de mon cercueil. — Dame, s’il faut que j’aie la douleur de vous voir trépasser, laissez-moi amener un chevalier pour me servir de compagnon et veiller avec moi. » Richard ayant affirmé de nouveau à sa femme qu’il tiendrait la promesse qu’elle avait exigée, alors cette malicieuse créature se prit à contrefaire la morte ; et le duc, la cuidant vraiment trépassée, ordonna qu’elle fût portée, dès le soir même, dans la chapelle de la forêt.

Quand le corps fut déposé dans la chapelle, où brillaient maints cierges et luminaires, l’archevêque accompagné de ses clercs le bénit une dernière fois, et recommanda à Dieu l’ame de la duchesse. Après l’office terminé, le clergé retourna à Rouen, et Richard, pour accomplir sa promesse, demeura auprès de la morte, avec un seul chevalier.

Luy et le cheuallier la nui et veillèrent la
En regrettant sa femme que si ieune espousa[1].

Mais, vers la minuit, Richard fut pris de sommeil. À peine fut-il endormi, que le corps s’étendit avec tant d’effort dans la bière, qu’elle se rompit par éclats. En même temps un cri terrible fit retentir toute la forêt. Richard ne ressentit aucune frayeur ; seulement il saillit son épée hors du fourreau, et la posa sur ses genoux. Aussitôt le corps de s’écrier : « Hé quoi, duc Richard, on parle de vous en tout pays pour votre hardiesse, on dit que jamais vous n’eûtes peur, na prime na complie, d’aucune personne vivante ; et voilà que, pour une femme morte, toute votre chair a frémi. — Par ma foi ! reprit vivement Richard, vous faussez la vérité,

Car onques pour personne ma coulleur ne muay[2].

Mais, dit-il encore, par dépit, que le vrai Dieu seigneur

  1. Roman de Richart.
  2. Roman de Richart.