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RICHARD SANS-PEUR.

grand soin. La petite fille profita si bien chez sa nourrice la forestière, qu’elle était aussi avancée à l’âge de sept ans que le sont d’ordinaire les autres enfants dans leur quatorzième année. Mauvaise herbe croit toujours assez, dit la sagesse de nos pères ; méfiez-vous donc des éducations précoces ; c’est grand hasard s’il n’y a quelque diablerie qui s’en mêle. Mais le duc Richard était bien loin de soupçonner la tromperie de l’ennemi, car la beauté de sa jeune protégée s’était insinuée dans son cœur.

À cette époque, tous les barons de Normandie, tant petits que grands, formèrent un consistoire, et prirent ensemble la résolution d’aller trouver leur seigneur et duc. Ils voulaient lui représenter que le bien de l’état exigeait qu’il prît pour épouse une noble dame qui lui donnât des héritiers appelés à lui succéder dans le gouvernement du pays. Lorsque Richard eut entendu la requête de ses barons, il dit qu’il était prêt à faire ce qu’on demandait de lui : « Apprenez, cependant, ajouta-t-il, que j’ai fait élever une jeune fille, qui a maintenant sept ans accomplis ; je ne pourrai jamais trouver une épouse qui soit plus belle ou plus à mon gré ; c’est elle que je désire prendre pour femme. — Sire, dirent les barons, que Dieu vous accorde la joie d’être son époux ; prenez-la, puisque votre cœur s’y est adonné. » On fit venir promptement la jeune fille, et l’archevêque de Rouen bénit le mariage du duc Richard avec elle. Sept ans se passèrent encore, et, soit dit sans intention épigrammatique, Richard vécut en aussi bonne intelligence avec le diable, qui était devenu sa femme, que s’il eût épousé aucune des plus gracieuses dames qui vivaient à cette époque. Les sept ans accomplis, le diable-femme s’imagina de faire la malade, et fit mander le duc auprès de lui : « Sire, dit-il d’une voix dolente, je me sens bien malade, et je crois que je vais mourir ; c’est pourquoi je vous supplie, par votre merci, de m’octroyer la demande que je vais vous faire. — Parlez, répondit le duc, et j’emploierai tout mon pouvoir à vous complaire. — Sire, reprit alors la fausse épouse, je dési-