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CHAPITRE XXIV.

savent traiter le plus sérieusement les affaires, il va droit au but, et met le doigt sur la plaie ; c’est-à-dire qu’il propose à l’apôtre sans disciples, de fendre la montagne pour donner passage à la petite rivière, et faciliter ainsi l’accès de l’église à la population des environs. Cette proposition étonne d’abord saint Quentin, qui avait quelques raisons de penser que Satan n’était pas coutumier de semblables complaisances à l’égard des serviteurs de Dieu. « Si je consens à accepter ton offre, dit-il cependant, que réclames-tu, maudit, pour ton salaire ? — L’ame de ta fille aînée, réplique Satan, d’un air superbement leste et résolu. » Le saint frémit à cette demande aussi offensante que cruelle ; car on doit croire que, s’il avait à cœur de gagner des âmes à Dieu, ce n’était pas aux dépens du salut de sa propre famille. Il allait donc proclamer son refus avec un dédain énergique, lorsqu’il s’aperçut que le démon était déjà disparu. Celui-ci, en observant le trouble douloureux de son interlocuteur, avait compris qu’il n’y avait plus rien à faire, du moins ce jour-là. Comment il s’y prit ensuite pour renouveler sa proposition, et comment le saint, qui avait réfléchi, sembla, peu à peu, se laisser séduire, c’est ce que la perspicacité de nos lecteurs nous dispense de leur raconter en détail. Toujours est-il qu’après un petit nombre d’entrevues le saint finit par accéder à l’offre de Satan, mais en y ajoutant deux conditions essentielles : il fallait que, dans la rivière, coulant pour la première fois au fond de la montagne entr’ouverte, le démon blanchit une toison, dont notre apôtre s’était réservé le choix, et qu’il remplit d’eau un certain vase que le saint avait en sa possession. Ce marché fut conclu. Et voyez comme Satan en fut la dupe : la toison était une peau de bouc, le vase était un crible ! Pas n’est besoin d’ajouter que la fille de saint Quentin se trouva délivrée, par l’ingénieuse ruse de son père, de la poursuite de son infernal prétendant. Quant à l’immense crevasse, si avantageuse pour la contrée, les habitants de Pôtigny lui appliquèrent, avec une malicieuse satisfaction, le surnom de Brèche-au-Diable,