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CHAPITRE XXIII.


la dame des hogues.


Les crimes de la féodalité ont laissé une sombre empreinte sur quelques-unes de nos traditions locales. De nobles seigneurs et de belles châtelaines, dont l’histoire avait dédaigné de mentionner les sourdes cruautés, les mesquines tyrannies, sont demeurés encore, après nombre de siècles écoulés, en exécration dans le pays qu’ils ont habité, tant la mémoire du peuple est longue et vengeresse.

Ainsi, dans la Haute-Normandie, aux environs de Fécamp, on vous montrera le château et le bois des Hogues appartenant jadis à une femme voluptueuse et sanguinaire, à la manière des héroïnes de la tour de Nesle, et qui, elle aussi, croyait trouver, dans le double pouvoir de son rang et de sa beauté, une justification à ses homicides fantaisies. Empruntant le secours de ses affidés, la dame des Hogues attirait, dans un mystérieux réduit de sa tourelle, les plus beaux et les plus aimables de ses jeunes vassaux ; puis une mort violente payait un rapide instant d’illusion et d’amour. C’était aux falaises d’Yport que la cruelle châtelaine faisait, dit-on, transporter, pour y être jetés dans la mer, les cadavres de ses amants. Un jour, poussée par une impure et satanique ambition de femme, la châtelaine des Hogues appela près d’elle, sous prétexte de conversion, un saint abbé du monastère de Fécamp. Que vous dirai-je ? en dépit des pieuses sauvegardes dont il s’était entouré, et même des préventions repoussantes qu’il avait justement conçues, le moine austère fut surpris, abusé, ébloui, charmé, et l’audacieuse séductrice put se féliciter du plus difficile de ses triomphes. Cependant, soit par compassion, soit par crainte, elle laissa la vie au faible et coupable moine ; mais le remords que celui-ci emporta dans sa retraite, était un glaive aussi sûr que la lance ou le poignard. Peu de temps après sa faute, le malheureux abbé mourut de honte et de douleur, non sans avoir fait une confession publique. Ses religieux, qui jusqu’alors l’avaient vénéré, deman-