Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/501

Cette page a été validée par deux contributeurs.
468
CHAPITRE XXIII.

telaine, et lui dit qu’il y avait à la porte un pauvre ermite qui tourmentait fort pour lui parler. La dame, croyant qu’il s’agissait d’une aumône, commanda qu’on la fît largement, et qu’on priât, en même temps, l’étranger de la dispenser d’une entrevue, s’il n’avait pas autre chose à réclamer. Mais celui-ci affirma qu’il était absolument indispensable qu’il parlât à la dame avant qu’elle se rendît à la messe. La châtelaine consentit alors à le recevoir. Pour éprouver les sentiments de sa femme, Martel commença à l’interroger au sujet des inquiétudes de son veuvage, et lui demanda si elle n’avait point reçu de nouvelles de son mari depuis un an. La noble dame se plaignit amèrement de n’en avoir jamais reçu. Elle témoigna ensuite des regrets si sincères de la perte de l’époux qu’elle avait tant aimé, que le sire de Bacqueville, ne pouvant contenir plus long-temps son émotion, présenta, à cette épouse fidèle, la moitié de l’anneau qu’ils avaient partagé au jour de leurs adieux, et lui dit, avec le ton de familiarité caressante qui lui était habituel autrefois : « Eh bien ! ma mie, ne me reconnaissez-vous pas ? » Pour toute réponse, la dame se jeta dans les bras de son seigneur. Les serviteurs et les varlets, qui étaient présents à cet entretien, reconnurent aussi leur maître, et la bonne nouvelle de son retour mit toute la maison en joyeux émoi[1].

Le sire de Bacqueville, pour tenir son vœu, fit bâtir une chapelle dédiée à saint Julien. Lui et sa femme érigèrent aussi une croix au lieu où ce respectable seigneur avait été assisté par les jeunes bergères. Cette croix est encore appelée de nos jours : Croix-mangea-là[2].

  1. Louis Richeome, R. P. de la Compagnie de Jésus : Le Pèlerin de Lorette, p. 336 et suiv. (Cité par Auguste Guilmeth, Histoire communale des environs de Dieppe, p. 57 et suiv.)
  2. L’église paroissiale de Bacqueville conserve également un tableau qui, beaucoup plus petit que celui que nous avons indiqué déjà, et peint sur toile, représente le moment où le sire Martel présente à sa femme la moitié d’un anneau, que celle-ci reconnaît pour être le sien. (Auguste Guilmeth, ibid.)