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LÉGENDES ROMANESQUES.

qu’il se fut convaincu qu’il n’était pas le jouet d’un heureux songe, il se persuada que, par le merveilleux secours de saint Julien, il avait été transporté dans une forêt de la Turquie. Ayant aperçu, à quelques pas de lui, plusieurs jeunes filles, il alla au devant d’elles et leur demanda en quelle forêt il était[1]. Sa question avait été adressée en langage turc ; les jeunes filles s’entre-regardèrent avec indécision, pensant que cet étranger parlait latin ou anglais ; puis elles lui répondirent, en français, qu’elles n’avaient pas compris ce qu’il avait voulu leur dire. Lorsqu’il entendit le langage de sa patrie, Guillaume Martel douta encore une fois s’il n’était pas abusé par un rêve ; cependant il renouvela sa question en français. « Sire, répondirent aussitôt les jeunes filles, vous êtes dans la forêt de Bacqueville. » Le chevalier, rempli d’une joie inquiète, regarda plus attentivement autour de lui, et reconnut qu’il était, en effet, dans une forêt voisine de son château. Il essaya alors de se mettre en route, mais il avait si grande faim, que la faiblesse l’empêchait de marcher. Il fit part de son dénuement à ses jeunes interlocutrices, qui partagèrent généreusement leur pain avec lui. Son repas terminé, il alla se présenter au château, où, par une rencontre extraordinaire, un grand concours de noblesse arrivait en même temps que lui. Cependant il s’adressa au portier, et lui dit qu’il désirait parler à la châtelaine : « Cela sera très difficile, répandit le serviteur, car elle se marie aujourd’hui. » Guillaume, non moins étonné que chagriné mit plus d’insistance encore dans sa demande ; si bien que le portier se rendit auprès de la châ-

  1. On voit encore, dans une des chapelles de l’église de Bacqueville, un assez vaste tableau peint sur bois, représentant le sire Martel et deux autres chevaliers, d’abord en prison, et visités par une jeune fille vêtue de blanc ; puis, délivrés de leurs fers, libres dans la plaine, et se jetant à genoux pour remercier le ciel de sa protection ; puis, enfin, le seigneur de Bacqueville seul, s’adressant à de jeunes pastourelles, qui lui apprennent qu’en ce moment même il ne se trouve plus en Turquie, mais dans son pays natal. (Auguste Guilmeth, Histoire communale des environs de Dieppe, p. 60.)