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LÉGENDES ROMANESQUES.

Une légende, semblable à celle de Marie Anson, se trouve au nombre des traditions de la Suisse. La femme d’un comte de Toggenburg, dont la forteresse s’élevait à peu de distance du lac de Zurich, en est l’héroïne ; seulement, le fait se passa avec des circonstances moins révoltantes que dans la tradition normande : Un corbeau enlève l’anneau nuptial de la jeune épouse, et le porte hors du château. Un écuyer trouve cette bague et la passe à son doigt. Le comte reconnaît l’anneau, et, dans un transport de fureur jalouse, il s’élance sur sa femme, la précipite du haut d’un rempart de la forteresse, et fait attacher l’imprudent écuyer à la queue d’un cheval indompté[1].

Le fond de cette histoire romanesque subsiste encore, comme tradition locale, dans plusieurs autres endroits de la Normandie :

Aux environs de Caen, circulent beaucoup de récits fabuleux sur les violences qu’on attribuait à Guillaume-le-Conquérant, envers la reine Mathilde, sa femme. On rattachait à ces traditions l’érection d’une croix, dite Croix pleureuse, qui s’élevait anciennement sur le territoire de Cormeilles, à l’embranchement du chemin de ce village avec la route de Caen à Falaise. Mathilde, disait-on, conseillée par le comte du Mans, avait demandé à Guillaume, lors de son arrivée d’Angleterre, qu’il consentit à lui laisser affecter à son profit l’impôt des bâtards. Le prince, bâtard lui-même, crut voir dans ces paroles l’intention d’une offense. Exaspéré par une furieuse indignation, il se saisit de Mathilde, l’attacha par les cheveux à la queue de son cheval, et la traîna jusqu’au lieu où s’éleva depuis la Croix pleureuse. Guillaume repentant fit ériger cette croix comme monument de réparation honorable envers la

    prime chez Pellerin, à Épinal, avec une gravure représentant le mari qui traîne son épouse par les cheveux, au galop de son cheval. L’époux a le costume d’un général en chef, le chapeau à la Souvarow, et de grosses épaulettes ; les autres détails sont à l’avenant.

  1. X. Marmier, Légendes et traditions de la Suisse, (Revue de Paris, t. xxxiii, p. 184, année 1841.)