Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
CHAPITRE II.

Et si sa mère refuse de lui répondre, il fera boire dans sa cervelle son épée tranchante.

Ceste espee tranchant e bele
Feroie boivre en vo cervele[1].

Cette scène, qui ne se trouve point dans la chronique, mais, seulement, dans le roman et dans le drame, est admirable de conception ; toutes les qualités dramatiques s’y rencontrent : énergie, vérité, profondeur. Robert, levant pour la seconde fois un glaive parricide, n’obéit plus ici à un instinct de fureur insensée. Au milieu de la tourmente d’une ame harassée de crimes et possédée encore de toutes les puissances du mal, n’est-ce pas un mouvement saisissant et juste que cette colère exaltée par le remords ? Ses excès même n’empêchent pas qu’elle ne relève le caractère de notre héros jusqu’à la vraisemblance morale ; plus encore, elle atteint au sublime du sentiment, car elle trahit le désespoir le mieux justifié qui se soit attaqué jamais à la fatalité des destinées humaines. En effet, si le ciel est, à son gré, ou sourd à nos plaintes, ou sensible à notre douleur, son impassibilité doit s’ébranler au moins à ce cri de la conscience violée : pourquoi suis-je si méchant ?

La duchesse Inde répond aux menaces de son fils en lui avouant quel anathème elle a prononcé sur sa naissance ! À la découverte de ce secret de malédiction, le courroux de Robert, naguère si bouillant, s’apaise, ou plutôt se fond dans une immense douleur. Et pourtant, loin de fuir, sa mère à ses pieds implore la mort en punition de sa faute.

Quand Robert lot si ot grant ire
De chou que sa mere li conte.
Et grant deul moult et a grant honte.
Il en pleure moult tenrement.

. . . . . . . . . . . . . . .

  1. Roman de Robert-le-Diable, p. 5, col. 2.