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ROBERT-LE-DIABLE.

faisons honneur à l’invention de toutes les monstruosités du vrai.

Pourtant, à travers les outrecuidances de ce merveilleux féroce, certains traits de mœurs saisissants, nous confirment un fond de réalité vivante ! Ainsi, le père et la mère de Robert se désespèrent d’avoir donné naissance à un tel fils ; mais, au milieu de sa douleur navrante, la bonne dame Inde s’avise, enfin, qu’il serait bon que Robert fût fait chevalier ; elle va trouver son seigneur, et lui dit que, par l’ordre de chevalerie, leur fils pourrait changer de conduite, et venir à résipiscence.

Sire, merchi, dist la duchoisse,
Se vous voles bien, ceste noisse
Poes esraument abaissier.

. . . . . . . . . . . . . . .


Faites vo fil chevalier faire,
Adont le veres retraire
Asses tost de ces grant malisse ;
Tout en laira son maluais visse,
Sa crualté et son meffait,
Puis qu’il sera chevalier fait[1].

Si nous avons reconnu, dans les crimes de Robert, la peinture des excès de la féodalité, voici ce qui constate pour nous le mobile du progrès moral de cette puissance farouche. La chevalerie, c’est l’élément religieux introduit dans le matérialisme encore barbare de la vie suzeraine : brillante et laborieuse synthèse qui ne compléta point ses résultats, et ne fut, à vrai dire, qu’un acte de ferme propos, dont la civilisation trop faible ne put réaliser les promesses.

Cependant, Robert ne se prêta qu’avec répugnance à recevoir l’ordre de la chevalerie. La jeunesse n’est pas toujours d’accord avec les idées du progrès, si celui-ci ne favorise ses propres énergies. Notre héros ne trouva donc, dans cette cérémonie, qu’une occasion nouvelle de désordre et de cruau-

  1. Roman de Robert-le-Diable, p. 3, col. 2.