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CHAPITRE XX.

de la priorité, qui ne lui appartiendrait point, cependant, si nous nous en tenions à l’ordre chronologique.

Le miracle de saint Romain date de la première moitié du viie siècle, l’intronisation du bienheureux prélat, à l’évêché de Rouen, ayant eu lieu vers l’année 630 ; l’époque n’est pas connue d’une manière absolument précise. Or, il est important de remarquer que, depuis le viie siècle où vécut saint Romain, jusqu’à la fin du xive, aucun légendaire ni aucun historien normand n’a fait mention du miracle si célèbre de la Gargouille. Ce n’est qu’en 1394 que cette tradition fabuleuse fut mise en lumière, pour la première fois, par le chapitre de Rouen, à l’appui de l’éminent privilège de la Fierte[1].

Ce rapprochement de dates, entre l’épiscopat de saint Romain et la première divulgation du miracle de la Gargouille, nous paraît démontrer suffisamment le peu de véracité de la légende, d’autant mieux que la relation primitive en était dénuée de tous les enjolivements caractéristiques qui prirent place dans les récits subséquents, lorsqu’elle fut plus répandue et eut obtenu plus de crédit. Notre narration va faire connaître au lecteur cette légende, dans toute l’étendue des détails dont l’a enrichie le temps.

Saint Romain passa sa jeunesse à la cour de Clotaire II ; élevé ensuite à la dignité épiscopale dans le diocèse de Rouen, il mit tout en œuvre pour détruire l’idolâtrie. Ses vigilants efforts furent couronnés de succès, et Dieu se plut à manifester la sainteté de son ministre, en lui accordant d’opérer un grand nombre de miracles, dont un, en particulier, devait effacer, par sa longue célébrité, celle de tous les autres.

Il y avait alors, dans un marais des environs de Rouen, un prodigieux dragon qui dévorait les hommes et les animaux. La présence de ce redoutable ennemi portait la terreur parmi les habitants de la cité normande. Saint Romain, dans l’ardeur de sa charité, méditait sans cesse sur les moyens de délivrer

  1. A. Floquet, Histoire du Privilège de Saint-Romain, t. I, p. 10 et 11.