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CHAPITRE XVII.

instant, toutes les flèches volent à la fois sur le terrible ennemi. Nul doute qu’il est atteint. Cependant, sa douleur et sa rage ne se trahissent ni par un mugissement formidable, ni par un sifflement menaçant : le monstre demeure muet et impassible. On s’approche, alors, avec plus de confiance, et l’on reconnaît que l’effroyable reptile est depuis quelque temps privé de vie. Quel a été le libérateur du pays ? Auprès de la dépouille du monstre se trouvent une épée et un bouclier d’une forme particulière, qui n’est point en usage dans la contrée. Alors, on invoque le ciel ; tout le peuple se soumet au jeûne et à la prière, pour obtenir de connaître le puissant vainqueur auquel il doit sa délivrance. Enfin, saint Michel apparaît à l’évêque, et lui déclare que cette victoire est son propre ouvrage, et que, pour lui donner un témoignage de reconnaissance, il faut aller déposer les armes qu’il a laissées sur le champ de bataille, à la montagne consacrée en son honneur.

Les Irlandais n’avaient point encore entendu parler du mont Saint-Michel de la Neustrie ; ils s’imaginent que, par cette montagne qui lui est consacrée, l’archange a voulu leur désigner le mont Gargan. Ils envoient aussitôt des ambassadeurs en Italie, chargés du glaive et du bouclier. Ces messagers débarquent d’abord en France, s’avancent dans l’intérieur du pays, et, le soir d’une journée de voyage, se trouvent avoir dépassé la latitude du mont Saint-Michel. Ils vont prendre leur repos accoutumé, mais, le lendemain, à leur réveil, sans pouvoir se rendre compte de ce fait extraordinaire, ils se retrouvent précisément au même point d’où ils étaient partis la veille. Cependant, ils persistent courageusement à reprendre leur route. Une journée de trajet est de nouveau accomplie, et la nuit suivante, le même événement miraculeux se reproduit. Que faire alors ? Faut-il reculer ou demeurer en chemin ? Qu’on juge de l’embarras et de la détresse des pauvres messagers ; heureux seulement, dans cette malencontreuse alternative, de savoir au moins à quel saint se vouer.