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CHAPITRE XVII.

de nos jours ; c’est-à-dire qu’il consistait à laisser le crime s’exécuter sans entraves, pour se ménager l’occasion d’en tirer ensuite une vengeance exemplaire. Donc, après que l’âne eut été rongé jusqu’au dernier os, sainte Austreberthe apparut tout-à-coup sur le lieu du forfait ; elle réprimanda messire loup de la manière la plus navrante, et conclut en le condamnant à remplir, à l’avenir, les fonctions dont sa victime s’acquittait naguère avec le zèle toujours égal de l’habitude. Le loup, confus, ne se le fit pas dire à deux reprises, et nous devons même ajouter, à la louange du pénitent, qu’il emprunta les douces vertus de l’âne, et sut accomplir sa tâche, jusqu’à la fin de ses jours, avec une exactitude, une soumission irréprochables. À tout prendre, l’intervention de sainte Austreberthe, et le miracle qui en fut la suite, ne sont point à dénigrer. En religion, comme en morale, une conversion équivaut à une résurrection.

Pour perpétuer l’impression de ce fait exemplaire, on construisit, dès le septième siècle, une chapelle commémorative dans la forêt de Jumiéges, au lieu même où l’âne avait succombé sous la dent féroce du loup. Lorsque les années eurent ruiné ce monument, une simple croix de pierre le remplaça. Environ soixante ans avant la révolution, la croix de pierre fut détruite ; un chêne, voisin du lieu où elle avait été érigée, et dans lequel on plaça plusieurs statuettes de la Vierge, fut choisi, à son tour, pour abriter le naïf souvenir du miracle de sainte Austreberthe. Cet arbre est encore désigné aujourd’hui, par nos villageois, sous le nom de Chêne-à-l’Âne.

La seconde période de l’histoire de Jumiéges, c’est-à-dire celle qui date du rétablissement de l’abbaye, après sa ruine complète par les dévastations des Normands, nous offre, dès ses commencements, un trait important à citer, c’est l’aventure sinon merveilleuse, au moins singulière, rapportée par Guillaume de Jumiéges, et qui amena Guillaume Longue-Épée à prêter son aide à la réédification du monastère[1].

  1. Guillaume de Jumiéges, en racontant cette histoire, se met en con-