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CHAPITRE XVII.

De Gruchy, homme audacieux et dépravé, dont les passions effrénées s’étaient développées, sans entraves, au milieu du relâchement introduit par les discordes civiles. De Gruchy découvrit le complice que réclamait son criminel dessein, dans un certain Frenage ou Fournage, chef d’une bande de malfaiteurs, à l’aide desquels il exploitait la contrée. De Gruchy et Frenage prirent ensemble leurs mesures pour forcer, la nuit, les serrures du monastère ; ils firent main basse sur les plus anciens et les plus précieux manuscrits de la Bibliothèque, ainsi que sur la croix, l’évangélistaire et le calice dont saint Wulfran avait fait présent à l’abbaye. Frenage fut livré à la justice des hommes, pendu et déchiré en lambeaux, en expiation de son crime. De Gruchy, plus coupable encore, ne fut point poursuivi pendant sa vie, mais les châtiments terribles, infligés à son ame, se manifestèrent sur son tombeau, par un repoussant prodige. L’indigne sacriste avait été enterré dans le cloître de Fontenelle, en face de la porte de l’église située dans le bas de la nef, et qui était celle par laquelle il avait introduit ses complices. Or, tous les jours, il sortait de la pierre de son sépulcre une si grande quantité de crapauds, que ce lieu en était empoisonné, et que les soins des moines furent long-temps inutiles pour les faire disparaître.

Comme tous les autres établissements religieux de la Neustrie, le monastère de Fontenelle avait été détruit par l’invasion des Normands ; sa réédification fut précédée d’un fait miraculeux que nous ne devons pas passer sous silence : Un seigneur, du nom de Torstinge, ayant été chasser dans la forêt de Jumiéges, le cerf, poursuivi par les chiens, les amena jusqu’à la vallée de Fontenelle, puis se fraya une route, à travers les décombres de l’ancienne abbaye, jusqu’au lieu où se trouvait autrefois l’autel. Parvenu en cet endroit, la vaillante bête se retourna pour faire face aux chiens, et demeura paisible comme dans un sanctuaire inviolable. Le seigneur Torstinge arriva à la suite de ses lévriers ; il les trouva dressés à l’arrêt, l’œil en feu, altérés de leur proie,