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CHAPITRE XVI.

blasphèmes, les jurements, les discours sacrilèges et injurieux, habituel langage des possédées. C’était un beau triomphe pour le curé des Landes, qui avait prédit la possession dès le commencement de la maladie. D’ailleurs, cette fois, il avait obtenu la permission de procéder lui-même aux exorcismes. Il se mit en besogne sur-le-champ ; mais jugez quel édifiant succès lui était réservé : non seulement la petite Claudine, comme on nommait la plus jeune des filles de M. de Leaupartie, continua de donner des marques de possession, mais, par une sorte de rétrogradation, Mlle des Landes, puis, Mlle de Leaupartie, ses deux aînées, se déclarèrent malades, avec les mêmes symptômes. Enfin, en moins d’un mois, on eut lieu de croire qu’un détachement de diables avait envahi la paroisse des Landes, car presque toutes les filles du voisinage se prirent à singer les excès des possédées.

Les scènes les plus grotesques s’organisèrent bientôt, et renouvelèrent le spectacle édifiant dont Louviers avait été le théâtre, près d’un siècle auparavant ; mêmes contorsions indécentes, même fureur insensée dans le lieu saint, et, en présence des objets du culte, même résistance impie à se soumettre aux exercices religieux, et, surtout, même abus sacrilège des sacrements de l’eucharistie et de la pénitence ; mais, cette fois, tout est mieux apprécié et défini dans la conduite des prétendues possédées. Les esprits solides y reconnaissent les effets d’une mélancolie engendrée par une dévotion outrée, et par l’excès de certains exercices de piété, non proportionnés à la faiblesse de l’âge et du sexe de celle à qui ils étaient imposés. Cette remarque s’applique particulièrement aux demoiselles de Leaupartie ; quant aux autres filles, si l’imitation eut quelque part à leur prétendue maladie, la ruse y fit davantage encore. Madame de Leaupartie affectait une grande commisération pour les personnes qui partageaient le triste état de ses filles, jusqu’au point de les admettre à sa table, malgré la distance de leur condition à la sienne. On conçoit que cet appât gagna des prosélytes au diable, et qu’aux yeux de quelques-unes